En allouant une large part de son fonds de souveraineté à des actions sociales concrètes, le président de la transition malienne, le général Assimi Goïta, renoue avec une tradition africaine de gouvernance fondée sur la solidarité et le service public. Une démarche qui s’inscrit non seulement dans l’héritage des grandes figures du continent, mais aussi des penseurs de l’Etat-providence, tout en répondant aux urgences contemporaines du Sahel.
« Je m’emploierai […] à la réduction du train de vie de l’État. D’ores et déjà, j’ai décidé d’allouer les deux tiers, du fonds de souveraineté du président, […] aux œuvres soucieux sanitaires notamment, pour faciliter l’accès à l’eau potable et aux soins de santé primaire dans les zones difficiles de notre. », s’est engagé le président de la transition, le général Assimi Goïta, lors de son investiture le 7 juin 2021. Les œuvres sociales venaient ainsi de naître.
Retour d’un imaginaire du pouvoir ancré dans les traditions africaines
Il y a des décisions politiques dont l’écho dépasse le cadre strict d’un programme national. Et il y a des gestes de gouvernance qui, par leur résonance symbolique, s’inscrivent dans une filiation continentale plus vaste. L’initiative des œuvres sociales du président de la transition malienne, le Général d’Armée Assimi Goïta, appartient assurément à cette seconde catégorie. D’abord parce qu’elle repose sur un principe fondamental : l’allocation directe d’une part substantielle du fonds de souveraineté présidentiel à des actions sociales concrètes. Ensuite, parce qu’elle s’inscrit dans une tradition africaine pluriséculaire de gouvernance par le don, la solidarité et la proximité.
Depuis 2021, Goïta a choisi une voie résolument sociale. Deux tiers de son fonds de souveraineté — cet instrument souvent discret, parfois controversé — sont consacrés à des programmes de développement local. Il ne s’agit ni d’opérations ponctuelles, ni de gestes caritatifs isolés, mais d’un effort systématique de redistribution ciblée : près de 500 forages d’eau potable, électrification solaire de centres de santé, éclairage public dans la capitale, distribution de kits alimentaires aux plus démunis, kits sanitaires et scolaires. Le tout coordonné selon une logique d’urgence sociale et de réponse aux besoins essentiels.
Mais au-delà des chiffres, ce que dessine cette politique, c’est le retour d’un imaginaire du pouvoir ancré dans les traditions africaines du care communautaire, où le chef est celui qui donne, protège, et rend visible l’utilité de son autorité.
Un écho à l’Ubuntu, au Harambee, et à la palabre
« Gouverner, c’est certes prévoir », mais dans l’Afrique d’hier comme celle d’aujourd’hui, gouverner, ce n’est pas simplement édicter des lois ou bâtir des institutions — c’est aussi (et surtout) rendre tangible sa présence dans la vie quotidienne des citoyens. L’initiative du président Goïta s’inscrit ainsi dans l’héritage de philosophies sociales africaines telles que l’Ubuntu, l’Ujamaa, le Harambee, ou encore la pratique de la palabre.
L’Ubuntu, cette philosophie bantoue popularisée par Desmond Tutu et Nelson Mandela, repose sur une vérité simple, mais profonde : « je suis parce que nous sommes ». La logique des œuvres sociales maliennes — écoles, mosquées, centres de santé — reflète précisément cette pensée. C’est dans le renforcement des liens communautaires que se mesure la légitimité de l’autorité.
Le Harambee kenyan — littéralement « tirer ensemble » — incarne une autre facette de cette même idée : celle de l’engagement personnel du dirigeant dans le progrès collectif. Dès l’indépendance, Jomo Kenyatta avait inscrit ce principe dans le projet de nation. En s’inspirant de cette tradition d’effort solidaire, Goïta rappelle que le leadership africain peut aussi s’exercer dans l’exemplarité sociale.
Quant à la palabre, bien plus qu’un mode de discussion, elle fut historiquement une forme de gouvernance délibérative. Le lieu de la décision partagée et du compromis collectif. À sa manière, la politique sociale présidentielle s’inscrit dans cette continuité. Celle d’un pouvoir qui cherche à répondre directement aux besoins exprimés, sans médiation technocratique.
Des figures historiques tutélaires
Le geste de Goïta convoque aussi d’autres figures du panthéon politique africain. Thomas Sankara, au Burkina Faso, reste l’exemple par excellence d’une gouvernance fondée sur la justice sociale : construction d’écoles, vaccination massive, réforme agraire. Le parallèle est tentant — même si les contextes diffèrent profondément — entre les actes concrets du président malien et la vision révolutionnaire de Sankara, pour qui on ne peut pas construire un pays sans soigner, sans instruire, sans nourrir.
Kwame Nkrumah, au Ghana, avait dès les années 1960 mis l’éducation gratuite et la santé au cœur de sa stratégie de développement. Julius Nyerere et son Ujamaa tanzanien, malgré ses limites économiques, avaient tenté de faire émerger un socialisme africain centré sur la dignité et l’autonomie. Même Kadhafi, en son temps, avait su utiliser la rente pétrolière pour bâtir un réseau d’infrastructures sociales généreuses.
En s’inscrivant dans cette lignée, Goïta remet au goût du jour l’idée que la légitimité politique peut — et doit — se construire par l’action sociale directe, hors des logiques purement électorales ou institutionnelles.
Une inspiration au-delà du continent
Le geste présidentiel malien n’est pas uniquement africain dans son inspiration. Il rejoint également une tradition interventionniste occidentale bien connue : celle du New Deal américain de Franklin D. Roosevelt dans les années 1930. Face à la Grande Dépression, le président américain avait multiplié les programmes publics pour soutenir les plus vulnérables, créer de l’emploi, et rebâtir le lien entre État et société.
D’autres figures, comme Lyndon Johnson avec sa « guerre contre la pauvreté », ou plus récemment Joe Biden avec ses plans de relance familiaux, illustrent que la redistribution ciblée n’est pas incompatible avec la modernité démocratique. Ce que montre Goïta, c’est que le modèle malien, bien que nourri de traditions africaines, dialogue avec des principes universels de solidarité nationale.
Entre légitimité sociale et ancrage sahélien
Il serait toutefois réducteur de n’y voir qu’un mimétisme historique. Ce que l’initiative présidentielle malienne révèle, c’est la capacité d’un pouvoir politique à s’adapter à un contexte spécifique : celui du Sahel, de son insécurité chronique, de ses vulnérabilités climatiques et de ses fragilités économiques.
Les forages d’eau, les électrifications solaires, les distributions alimentaires : tout cela répond à des besoins concrets, identifiés, vécus. Dans un contexte de défiance généralisée envers les institutions, ces gestes sociaux deviennent des actes de reconquête du lien entre État et citoyen. Ils incarnent une forme de gouvernance tangible, à hauteur d’homme.
De plus, ils participent d’une stratégie de stabilité par le social, en consolidant les communautés les plus exposées, en prévenant les fractures locales, en réaffirmant la présence de l’État là où celui-ci s’était effacé.
De l’État social à l’État providence
La philosophie qui sous-tend les œuvres sociales du président Goïta ne relève pas uniquement de la tradition africaine du leadership par le service. Elle rejoint aussi une interrogation plus large sur le rôle de l’État dans la production de justice sociale – un débat qui traverse la pensée politique occidentale moderne depuis la fin du XIXe siècle.
L’idée d’un État-providence, c’est-à-dire d’un État qui intervient activement pour corriger les inégalités, protéger les plus vulnérables et assurer un minimum de sécurité économique et sociale, a trouvé sa formulation classique en Europe après la Seconde Guerre mondiale. Mais elle a aussi été pensée en amont par des intellectuels de premier plan.
Karl Popper, dans La société ouverte et ses ennemis (1945), distinguait avec clarté l’ingénierie sociale fragmentaire (réformiste et empirique) de l’ingénierie utopique (idéologique et totalisante). S’il se méfiait des systèmes clos et doctrinaires, il reconnaissait qu’un État responsable devait garantir un cadre stable et juste pour prévenir les injustices structurelles. Popper plaidait ainsi pour un État qui corrige, ajuste, protège, sans verser dans l’autoritarisme. Une vision qui n’est pas éloignée de l’approche pragmatique que le président malien semble aujourd’hui privilégier.
John Rawls, avec sa théorie de la justice (1971), ira plus loin en affirmant que les institutions doivent être conçues pour que « les inégalités économiques soient au bénéfice des plus défavorisés ». Là encore, l’écho est clair : redistribuer les ressources présidentielles vers les zones rurales, les personnes handicapées, les écoles marginalisées, c’est appliquer une justice distributive de terrain.
Réhabilitation de l’État social africain
Même Amartya Sen, prix Nobel d’économie, défendra l’idée que le développement ne peut être réduit à la seule croissance, mais doit se mesurer à la capacité réelle des individus à vivre dignement. L’accès à l’eau, à la lumière, aux soins, comme le promeuvent les œuvres sociales maliennes, correspond exactement à cette « approche par les capabilités ».
En Afrique, des penseurs comme Joseph Ki-Zerbo, Cheikh Anta Diop ou Axelle Kabou ont eux aussi, à leur manière, insisté sur l’urgence de réconcilier action politique et équité sociale, quitte à sortir des schémas importés pour redonner du sens au rôle de l’État dans nos sociétés. Ce que tente aujourd’hui le Mali, c’est peut-être, en filigrane, une réhabilitation de l’État social africain, en phase avec ses racines communautaires, mais aussi avec les exigences contemporaines de justice et d’efficacité.
Une gouvernance par l’exemple… et ses conditions de réussite
L’histoire nous enseigne cependant que ces expériences, aussi inspirantes soient-elles, restent fragiles si elles ne s’accompagnent pas de mécanismes de pérennisation. Le Harambee kényan a parfois dérivé en instrument clientéliste. Le programme social de Sankara n’a pas survécu à sa disparition. L’Ujamaa de Nyerere s’est essoufflé avec les chocs économiques des années 1980.
La leçon a tiré est que sans institutionnalisation, sans ancrage dans des politiques publiques durables, sans garde-fous contre le paternalisme, les œuvres sociales risquent de n’être qu’un feu de paille.
Mais l’expérience malienne d’aujourd’hui semble, elle, chercher à éviter ces écueils. En intégrant ces actions dans une logique de résultats, en articulant les financements aux priorités locales, le président Goïta semble vouloir inscrire sa démarche dans la durée.
Dans un monde où le leadership est souvent déconnecté du terrain, le Mali tente ici quelque chose de rare : un retour à une forme de gouvernance sensible, ancrée, visible. Et si l’histoire nous enseigne la prudence, elle nous rappelle aussi que les plus belles réformes sont celles qui, tout en parlant à la mémoire des peuples, répondent à leurs besoins les plus concrets.
A.D
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