En dissolvant l’ensemble des partis politiques, le Niger emboîte le pas au Mali et au Burkina Faso dans une dynamique de recentralisation du pouvoir au sein de la Confédération des États du Sahel (AES). Sous couvert de refondation, la transition nigérienne — comme celles de ses voisins — substitue au pluralisme politique une verticalité sans partage. Un tournant aussi spectaculaire que périlleux pour l’avenir démocratique du Sahel.
Le 26 mars 2025, le Général Abdourahamane Tiani a signé l’ordonnance de trop. Celle qui dissout, d’un trait de plume martial, l’ensemble des partis politiques au Niger. Moins d’un an après l’arrivée au pouvoir du Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie (CNSP), le paysage politique nigérien n’existe plus. Il a été effacé. Supprimé. Dissous.
Un appareil central, inféodé à l’exécutif
Et ce qui pourrait passer, vu de loin, pour une anomalie nigérienne, s’inscrit en réalité dans une dynamique plus large, plus cohérente — et donc plus inquiétante ; celle d’un autoritarisme assumé au sein de l’AES, cette Confédération des États du Sahel qui regroupe, faut-il le rappeler, trois pays dirigés par des militaires — le Mali, le Burkina Faso et désormais le Niger.
Au Mali, les partis ont été suspendus en avril 2024, puis partiellement réhabilités. Au Burkina, ils survivent dans une semi-clandestinité silencieuse. Au Niger, ils n’existent plus. L’AES, alliance géopolitique et militaire, devient donc aussi, par glissement progressif, un laboratoire de l’illibéralisme politique. Avec un point commun, la volonté farouche d’en finir avec ce que les régimes de transition appellent, sans nuance, « la classe politique », tenue pour responsables des dérives démocratiques dans ces pays depuis des décennies.
La rhétorique est bien rodée. On dénonce l’inefficacité des partis, leur clientélisme, leur parasitisme budgétaire, leur incapacité à résoudre les crises. On les accuse d’avoir trahi la patrie, d’avoir échoué à incarner la démocratie. Dès lors, la solution devient évidente : les faire taire. Et leur substituer un nouveau modèle, dont les contours restent, volontairement, flous. Une « organisation politique rénovée », dit-on. Comprenez par là un appareil central, inféodé à l’exécutif, sans contestation possible.
Une consolidation « démocratico-autoritaire »
Mais qui peut croire qu’on renouvellera le pacte démocratique au Sahel en le vidant de sa substance ? Qu’on construira un avenir commun sans pluralisme, sans débat, sans opposition ? En supprimant les partis, l’AES prétend réinitialiser la politique. En réalité, elle réinvente, sous couvert de refondation, une forme raffinée du parti unique.
Car derrière cette purge institutionnelle, une logique se dessine. Celle d’une concentration absolue du pouvoir dans les mains d’un exécutif militaire, adossé à une légitimité armée, et s’exprimant au nom du peuple sans jamais lui rendre des comptes. Ce n’est plus de la transition, c’est de la consolidation « démocratico-autoritaire ». Le néologisme n’existe sûrement pas mais ces régimes s’octroient des privilèges démocratiques et agissent au nom du peuple. Mais ce n’est plus un accident, c’est un système.
Bien sûr, les partis politiques du Sahel ont failli. Ils se sont souvent montrés plus prompts à la conquête de postes qu’à la défense d’une vision. Ils ont souvent oublié les peuples pour se focaliser sur les prébendes. Mais faut-il pour autant raser l’immeuble parce que les fondations étaient fragiles ? Non. Il fallait reconstruire. Pas démolir.
En disséminant le pouvoir, les partis — même imparfaits — permettent l’expression de la diversité. Ils canalisent les colères, cristallisent les espoirs, encadrent les ambitions. Sans eux, il ne reste que l’arbitraire d’un centre, le silence des marges, et l’illusion du consensus. L’AES prend le risque de faire du Sahel une zone sans voix — et donc sans avenir politique viable. La démocratie est à parfaire afin de rester l’espace d’expression de la « voix des sans voix ».
L’absence de voix discordantes qui fait la stabilité d’un État
Un jour, la transition devra s’arrêter. Et alors ? Qui prendra le relais ? Une technocratie cooptée ? Un parlement d’appoint ? Ou faudra-t-il réinventer, dans l’urgence et la confusion, ce que l’on aura mis tant d’ardeur à détruire ?
À trop vouloir tuer les partis, les régimes de l’AES oublient une vérité simple : on ne gouverne jamais durablement un peuple sans lui laisser la liberté de choisir — y compris celle de se tromper.
Refonder ne veut pas dire effacer. Et dissoudre les partis n’a jamais suffi à créer l’unité. Ce n’est pas l’absence de voix discordantes qui fait la stabilité d’un État. C’est leur reconnaissance, et leur encadrement démocratique.
A.D
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