Face à une crise énergétique aiguë, le Mali mise sur le solaire pour se transformer en modèle régional. Potentiel immense, projets clés, défis à relever.
C’est un paradoxe africain comme seul le continent en a le secret : un pays baigné de soleil, assommé d’irradiation solaire toute l’année, mais prisonnier de l’obscurité dès la tombée de la nuit. Le Mali, nation sahélienne minée par une crise énergétique chronique, tente aujourd’hui de transformer sa malédiction en promesse. Et si le soleil, hier spectateur silencieux de tant de drames, devenait demain la planche de salut d’un pays — voire d’une région — à la recherche de lumière au propre comme au figuré ?
Du nord désertique aux plaines du Sud-Ouest, le Mali dispose d’un ensoleillement généreux — entre 5 et 7 kWh/m² par jour — dont rêveraient bien des États européens. Mieux : avec un potentiel photovoltaïque théorique de 398,7 GW, le pays pourrait couvrir non seulement ses propres besoins, mais aussi alimenter une partie de l’Afrique de l’Ouest. Et pourtant, moins de 2 % de cette manne solaire est exploitée à ce jour. Le reste ? Une dépendance pathologique à des centrales thermiques, vieilles, polluantes et gourmandes en gasoil, dans un pays qui importe son carburant et subventionne les fossiles à hauteur de 200 millions USD par an.
La crise énergétique : un frein au développement
À Bamako comme à Tombouctou, les délestages ne sont pas des accidents mais une routine. À peine 42 % des Maliens avaient accès à l’électricité en 2017. Dans les zones rurales, c’est pire : seulement 18 %. Une réalité brutale, aux conséquences économiques et sociales désastreuses. Le manque d’énergie coûte au pays 1,5 % de son PIB chaque année. Des commerces ferment, les vaccins se détériorent, les élèves révisent à la lampe torche — quand ils en ont une. Le soleil brille, mais la lumière fait défaut.
Conscient du potentiel solaire et de l’urgence, Bamako s’est doté d’un arsenal institutionnel : un Programme d’action national pour les énergies renouvelables (PANER), une agence dédiée (AER-Mali), et une adhésion active à l’initiative onusienne « Énergie durable pour tous ». Objectif affiché : 52,5 % d’électricité renouvelable d’ici 2030. Un rêve qui nécessite 13,2 milliards USD d’investissements. Le Mali a identifié 150 sites prioritaires pour des centrales solaires, a lancé des PPP avec clauses de contenu local, et mise sur des interconnexions régionales comme la future ligne à haute tension Mauritanie–Mali–Burkina Faso.
Karan, le miracle silencieux
À 100 km de Bamako, le village de Karan offre un avant-goût de ce que pourrait être une transition réussie. Une mini-centrale solaire de 18 kW, installée en 2024, a métamorphosé la vie locale. Temps d’éclairage multiplié par sept, réduction de 70 % des coûts énergétiques pour les artisans, et des élèves qui ne quittent plus prématurément les bancs de l’école. Le modèle de financement — mêlant subventions, prêts sans intérêt et contributions communautaires — a fait ses preuves. Il mérite d’être répliqué, massivement.
Le pari solaire malien ne repose pas seulement sur de grands discours mais sur des technologies adaptées à l’environnement sahélien : panneaux bifaciaux anti-poussière, micro-réseaux hybrides avec batteries lithium-ion, pompes solaires à irrigation goutte-à-goutte. L’État prévoit le déploiement de 500 000 kits domestiques d’ici 2030. Une lumière dans l’obscurité, au sens propre comme au figuré.
Quand le soleil entre à l’hôpital
Face aux délestages devenus la norme, y compris dans les centres de santé, et à des armoires frigorifiques transformées en cercueils de vaccins, le chef de l’État malien a tranché dans le vif. Sous l’impulsion du général d’armée Assimi Goïta, l’électrification solaire des structures sanitaires est devenue une priorité nationale. Hôpitaux, centres de santé communautaires, dispensaires de brousse : partout, des kits solaires modernes, combinant panneaux photovoltaïques et batteries à haute capacité, sont venus remplacer le ronron incertain des groupes électrogènes.
Une lumière constante, 24 heures sur 24, dans des salles d’accouchement qui, hier encore, plongeaient dans le noir au moindre orage. Des vaccins conservés à bonne température. Des soins administrés sans interruption. Du personnel médical enfin soulagé de devoir « improviser ». Cette stratégie, saluée par les soignants comme par les patients, va au-delà du simple confort logistique : elle redonne à la médecine de proximité ses lettres de noblesse.
Les œuvres sociales du Président de la Transition prennent ici une dimension tangible : l’électricité, non plus comme privilège urbain, mais comme vecteur de service public, jusque dans les replis les plus oubliés du territoire malien.
Reste à franchir les murs de verre
Mais la route est longue. Cinq obstacles majeurs se dressent encore : un sous-financement chronique (15 % seulement des besoins couverts), un déficit criant de main-d’œuvre qualifiée, des subventions toujours orientées vers le diesel, une instabilité sécuritaire qui ralentit les chantiers, et des interconnexions électriques embryonnaires. Le potentiel est là. Les ambitions aussi. Mais les moyens manquent.
L’Agence internationale de l’énergie envisage trois scénarios pour le Sahel. Dans le meilleur — « révolution solaire » — le Mali deviendrait un laboratoire énergétique pour la région : 95 % d’accès à l’électricité, 80 % de solaire, 250 000 emplois créés. Utopique ? Pas forcément. Le pays dispose déjà d’un cadre réglementaire avancé, de partenaires internationaux prêts à investir, et d’une dynamique locale qu’il suffit d’accélérer.
Le soleil comme levier géopolitique
En transformant ses rayons en kilowatts, le Mali ne ferait pas que résoudre sa propre crise. Il poserait les bases d’un nouveau contrat énergétique régional. Exporter jusqu’à 10 GW vers ses voisins d’ici 2040 ? C’est possible, si les lignes bougent, au propre comme au figuré. La transition énergétique, au-delà de ses vertus écologiques, pourrait devenir l’un des rares vecteurs de stabilité et de croissance dans un Sahel trop souvent perçu sous l’angle de l’urgence sécuritaire.
Le Mali, en faisant du soleil une stratégie plutôt qu’un décor, pourrait bien écrire un chapitre inattendu de l’histoire énergétique africaine. À condition de croire enfin que lumière et souveraineté peuvent aller de pair.
Chiencoro Diarra
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