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Togo : Faure l’Éternel ?

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Un demi-siècle après le coup d’État militaire d’Eyadéma, son fils Faure Gnassingbé continue de régner sur le Togo, désormais via une réforme constitutionnelle sur mesure. Mais en juin 2025, une jeunesse décomplexée, dopée aux réseaux sociaux et à la musique contestataire, est descendue dans la rue. Le pouvoir vacille-t-il sous le poids de son propre entêtement ? Ou est-ce simplement le dernier sursaut d’un régime trop longtemps protégé par le silence ?

Dans le théâtre politique ouest-africain, il est des régimes qui défient la pesanteur du temps. Des régimes qui, à force de manœuvres juridiques, de verrouillages électoraux et de silences complices, s’installent dans une longévité quasi monarchique. Le Togo est de ceux-là. Cinquante-huit ans après que Gnassingbé Eyadéma s’est emparé du pouvoir par la voie des armes, son fils, Faure, en occupe encore les allées les plus feutrées. À Lomé, l’air du changement se fait rare, et l’opposition, quand elle ne se consume pas dans ses propres contradictions, se heurte au mur d’une dynastie désormais constitutionnellement blindée.

L’immobilisme par le droit

Car c’est bien là que le bât blesse : l’adoption, en avril 2024, d’une nouvelle Constitution par une Assemblée monocolore, sans consultation populaire, a dessiné les contours d’un régime parlementaire sur mesure. Un texte qui consacre l’institution d’un « président du Conseil des ministres » — autrement dit, le chef du parti majoritaire à l’Assemblée — détenteur de tous les leviers du pouvoir exécutif. Un texte que Faure Gnassingbé, sans surprise, a incarné dès le 3 mai 2025 en prêtant serment, renforçant ainsi les fondations d’un pouvoir dont il est désormais l’alpha et l’oméga.

Il ne s’agit plus ici d’une simple réforme. Il s’agit d’un coup de force légal. D’un coup d’État constitutionnel qui ne dit pas son nom. Exit le suffrage universel, exit les limites de mandats : tant que l’Union pour la République (UNIR) tiendra la majorité parlementaire, Faure pourra régner à sa guise. Et ce, sans jamais être soumis au verdict populaire. Dans une région secouée par les ruptures de l’ordre constitutionnel — qu’elles soient militaires ou électorales — le Togo vient d’inventer une nouvelle variante du maintien autoritaire : l’immobilisme par le droit.

Mais voilà : la rue, elle, n’a pas dit son dernier mot

Les 26, 27 et 28 juin derniers, une vague inédite de contestation a déferlé sur Lomé et plusieurs autres villes du pays. À l’origine, une jeunesse lassée de l’inertie, galvanisée par les réseaux sociaux, portée par des artistes et rappeurs comme Aamron — arrêté, interné de force, devenu symbole d’un pouvoir qui vacille. Ce n’était pas un appel des partis classiques, mais un cri du peuple. Brut, spontané, déchaîné. Et la répression, elle, fut à la hauteur de la peur du régime : sept morts, des corps repêchés dans les lagunes, des miliciens masqués, des forces de l’ordre à visage découvert.

Le gouvernement a botté en touche, parlant de « noyade ». La société civile, elle, parle de crimes d’État. Chacun choisira son camp. Mais les faits sont têtus.

Derrière le rideau de cette réforme constitutionnelle se cache une crise plus vaste : celle d’un pays en panne d’alternance, figé dans une pauvreté chronique où 53 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, où l’économie informelle fait office de planche de salut, et où la moindre hausse du prix de l’électricité — +12,5 % en mai dernier — peut mettre le feu aux poudres.

Le « mur de la peur qui se fissure »

L’opposition, de son côté, continue à se chercher. Fragmentée, inaudible, parfois discréditée par ses propres revirements, elle a longtemps fait le lit du régime qu’elle prétend combattre. En 2024, un mea culpa tardif a été prononcé, mais le mal est profond. Les FDR, l’ANC, le Parti des Togolais ont bien tenté de faire front, allant jusqu’à exiger la démission de Faure. Mais les institutions sont verrouillées, le système est huilé, et le parti majoritaire agit comme un rouleau compresseur.

Alors, reste la rue. Reste cette jeunesse qui n’a connu que le règne des Gnassingbé. Reste cette société civile qui, à défaut de bulletins de vote efficaces, mise sur le sursaut citoyen. Reste ce que David Dosseh appelle le « mur de la peur qui se fissure ».

Ce qui se joue au Togo, ce n’est pas seulement la fin d’une illusion démocratique. C’est l’usure d’un modèle. Un modèle où une famille confond l’État avec son patrimoine. Où le pouvoir n’est pas transmis par l’élection, mais par l’héritage. Où la politique devient une affaire de lignage et non de légitimité.

Le Togo n’est pas une monarchie. Ce n’est pas la Corée du Nord. Et pourtant, l’ombre portée de la transmission dynastique plane déjà au-dessus de Lomé.

L’histoire retiendra peut-être que ce mois de juin 2025 aura marqué le début de la fin. Non pas d’un règne, mais d’une résignation.

Car même les régimes les mieux huilés finissent toujours par se gripper.

A.D


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