La conférence Russie-Afrique à Sotchi marque un tournant dans les relations russo-africaines, entre soutien stratégique, quête d’indépendance et rééquilibrage géopolitique face à l’Occident.
Ce weekend à Sotchi, la Russie a accueilli des responsables de cinquante nations africaines pour une conférence ministérielle, marquant un nouveau chapitre dans l’évolution des relations russo-africaines. Au-delà des mots de Vladimir Poutine, transmis par son ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, l’événement souligne une dynamique de plus en plus affirmée : celle d’un partenariat alternatif, une coopération entre la Russie et l’Afrique en opposition au modèle d’influence traditionnellement exercé par l’Occident.
La Russie : un soutien stratégique « sans passé colonial »
Lors de cette conférence, la Russie s’est positionnée en alliée désireuse de soutenir le continent africain dans des domaines cruciaux comme la sécurité, la santé, l’agriculture, et le développement énergétique. Dans un contexte mondial où l’Occident impose des sanctions à Moscou en réponse à la guerre en Ukraine, la Russie renforce ses liens avec l’Afrique en s’appuyant sur une rhétorique anti-coloniale. Le ministre malien des Affaires étrangères, Abdoulaye Diop, a d’ailleurs souligné que la Russie « n’a jamais été une puissance coloniale » et qu’elle a souvent aidé les peuples africains dans leurs luttes pour la décolonisation. Cette position permet à Moscou de se démarquer des anciennes puissances coloniales, tout en misant sur un partenariat axé sur la souveraineté et le respect mutuel.
Cette approche trouve un écho particulier dans les pays africains qui ont récemment connu une rupture avec leurs anciens alliés occidentaux, comme le Mali, le Burkina Faso, et la Centrafrique. Pour ces nations, la coopération avec la Russie apparaît comme un moyen de diversifier leurs alliances et d’affirmer leur autonomie, notamment face à une France dont l’influence est en net recul dans plusieurs de ces pays. En se positionnant ainsi, la Russie aspire à se poser en partenaire égal, une alternative au « néocolonialisme » qu’elle attribue aux puissances occidentales.
Le rôle sécuritaire de la Russie en Afrique : soutien ou influence ?
Depuis plusieurs années, la Russie déploie des conseillers militaires et livre des équipements aux forces armées africaines. En 2023, elle a fourni plus de 5 milliards de dollars en matériel militaire aux pays africains, consolidant son rôle de fournisseur clé dans la région. Cette aide a permis à des gouvernements comme celui du Mali de renforcer leurs capacités de défense sans dépendre de l’Occident, un soutien jugé stratégique par les autorités maliennes pour lutter contre le terrorisme et stabiliser la région.
Cependant, cette présence militaire soulève des interrogations sur la nature réelle de l’influence russe. Si Moscou se défend d’agir en puissance impérialiste, l’envoi d’« instructeurs » militaires n’est pas sans rappeler d’autres formes d’influence exercées par des puissances extérieures. La coopération militaire permet à la Russie d’accroître son poids géopolitique tout en contribuant à asseoir le pouvoir des régimes en place, renforçant ainsi un réseau d’alliés prêts à soutenir Moscou dans les forums internationaux.
Une critique de l’ordre mondial et l’émergence d’un nouveau multilatéralisme
Le discours d’Abdoulaye Diop à Sotchi a également mis en lumière la Confédération des États du Sahel (AES) — une alliance formée entre le Mali, le Burkina Faso, et le Niger, visant à renforcer la coopération régionale en matière de défense, de diplomatie et de développement. Cette Confédération aspire à devenir une « fédération unie », affirmant ainsi une volonté d’indépendance renforcée vis-à-vis des anciennes puissances coloniales. En se rapprochant de la Russie, l’AES trouve un partenaire prêt à soutenir son projet d’autonomie et de stabilisation régionale.
La Russie, soutenue par les pays africains présents, a dénoncé l’« unilatéralisme » de l’Occident et a plaidé pour un ordre mondial plus équitable et multipolaire. La crise du multilatéralisme traditionnel et les sanctions imposées par les États-Unis et l’Europe renforcent l’appel de Moscou et de ses alliés africains en faveur d’une gouvernance mondiale réformée, où la souveraineté de chaque État serait respectée. Ce message résonne particulièrement en Afrique, où de nombreux dirigeants critiquent le rôle des puissances occidentales, perçu comme imposant des sanctions et des politiques économiques asymétriques.
La Russie, en s’alliant à des pays africains et en adoptant le modèle des BRICS, cherche à construire une coalition capable de contrer cette dynamique. La montée en puissance de cette coopération pourrait redéfinir les équilibres mondiaux, en renforçant le poids de nouveaux acteurs issus de continents longtemps marginalisés dans la gouvernance mondiale.
Vers un partenariat « d’égal à égal » ou une nouvelle dépendance ?
Pour l’Afrique, l’enjeu est de trouver un équilibre entre soutien stratégique et indépendance véritable. En se tournant vers la Russie, les pays africains cherchent à se libérer d’une influence occidentale, mais ils doivent veiller à ne pas échanger une dépendance contre une autre. Les partenariats, qu’ils soient avec Moscou ou l’Occident, doivent être construits sur des bases solides d’échanges équitables et d’investissements réels, au service de leur développement.
La Conférence Russie-Afrique de Sotchi marque un tournant dans cette quête d’indépendance africaine, en réaffirmant la volonté d’un continent en pleine affirmation de ses choix stratégiques. Le défi pour l’Afrique et la Russie sera de construire un partenariat réellement vertueux, qui respecte l’autonomie des États africains et s’inscrit dans une vision partagée d’un ordre mondial multipolaire.
Alassane Diarra
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