L’activiste Ba Diakhaté et le prêcheur Cheikh Ahmed Tidiane Ndao ont été récemment arrêtés au Sénégal pour diffamation et offense envers le Premier ministre Ousmane Sonko. Les deux hommes sont accusés d’avoir diffusé sur les réseaux sociaux des propos injurieux sur l’homosexualité visant le chef du gouvernement.
L’arrestation de l’activiste Ba Diakhaté et du prêcheur Cheikh Ahmed Tidiane Ndao pour « diffusion de fausses nouvelles » et « offense » envers le Premier ministre Ousmane Sonko a plongé le Sénégal dans une nouvelle controverse. Ces événements nous amènent à explorer les concepts de tolérance et de liberté, notamment à travers le prisme des pensées de Karl Popper et d’autres penseurs.
Karl Popper et le paradoxe de la tolérance
Karl Popper, dans son ouvrage « La Société ouverte et ses ennemis », énonce le « paradoxe de la tolérance » : pour maintenir une société tolérante, il faut être intolérant envers l’intolérance. Si une société est illimitée dans sa tolérance, sa capacité à être tolérante disparaît, car les intolérants profiteront de cette liberté pour détruire la tolérance elle-même.
Dans le cas de Ba Diakhaté et Cheikh Ahmed Tidiane Ndao, leurs propos sur l’homosexualité et les accusations portées contre le Premier ministre Sonko soulèvent la question de la limite de la tolérance. Peut-on tolérer des discours haineux et diffamatoires sous prétexte de liberté d’expression ? Popper dirait que non, car permettre de tels discours pourrait éroder les fondements mêmes de la tolérance dans la société.
Isaiah Berlin et la liberté négative
Isaiah Berlin distingue deux concepts de liberté : la liberté positive et la liberté négative. La liberté négative est l’absence de contraintes, tandis que la liberté positive est la capacité de réaliser ses propres potentiels. L’arrestation de Diakhaté et Ndao pourrait être vue comme une restriction de la liberté négative, c’est-à-dire une imposition de contraintes sur ce qu’ils peuvent dire.
Cependant, Berlin nous rappelle que la liberté absolue (liberté négative sans restriction) peut mener à l’anarchie, où les plus puissants oppriment les plus faibles. Dans une démocratie, la liberté d’expression n’est pas absolue si elle menace la cohésion sociale ou incite à la violence et à la haine.
John Stuart Mill et le principe de liberté
John Stuart Mill, dans « De la liberté », propose que la liberté individuelle ne doit être restreinte que pour prévenir un préjudice à autrui. Les critiques adressées à Ousmane Sonko, bien que virulentes, doivent être examinées sous cet angle. Si les propos de Diakhaté et Ndao causent un préjudice en diffusant des informations fausses et en incitant à la haine, alors, selon Mill, il serait justifié de limiter leur liberté d’expression pour protéger le bien-être général de la société.
Une dérive autoritaire ou une nécessité de régulation ?
L’arrestation de Diakhaté et Ndao pourrait être perçue comme une dérive autoritaire, un retour à une époque où critiquer les dirigeants conduisait directement à la prison. Cependant, la nécessité de réguler les discours de haine et les fausses nouvelles pour protéger la cohésion sociale et les droits des individus est également cruciale. C’est un équilibre délicat entre maintenir l’ordre public et préserver les libertés individuelles.
Les risques de désinformation et de violation des principes démocratiques sont réels si ces pratiques de répression de la dissidence devaient se poursuivre. La désinformation, propagée sans contrôle, peut miner la confiance du public dans les institutions et déstabiliser le tissu social. Lorsque les citoyens ne peuvent plus discerner le vrai du faux, le débat démocratique devient impossible, ouvrant la voie à la manipulation et à l’autoritarisme.
Le Premier ministre Ousmane Sonko et ses alliés doivent toutefois aussi se rappeler des pratiques qu’ils ont combattues sous le régime de Macky Sall. Ils se sont levés contre l’injustice, la répression et les atteintes aux droits de l’homme. Il serait tragique et hypocrite de tomber dans les mêmes travers maintenant qu’ils sont au pouvoir. La légitimité de leur leadership repose sur leur capacité à offrir un contraste net avec les abus du passé.
Les leçons de la philosophie politique
Le penseur politique Alexis de Tocqueville, dans « De la démocratie en Amérique », souligne l’importance de la liberté d’expression comme pilier de la démocratie. Pour Tocqueville, une société démocratique doit permettre à ses citoyens d’exprimer librement leurs opinions, même si ces opinions sont dérangeantes. Restreindre cette liberté sous prétexte de maintenir l’ordre public peut rapidement dégénérer en autoritarisme.
De même, Hannah Arendt, dans « Les origines du totalitarisme », met en garde contre la suppression de la diversité des opinions et des discours dans une société. Pour Arendt, la pluralité et le débat sont essentiels à la vie politique et à la prévention des régimes totalitaires. En réprimant les voix dissidentes, même celles qui diffusent des informations fausses ou offensantes, les dirigeants risquent de créer un environnement où la critique est étouffée, menant à une homogénéité dangereuse des opinions.
Le cas de Ba Diakhaté et Cheikh Ahmed Tidiane Ndao au Sénégal met en lumière les défis constants auxquels les sociétés démocratiques sont confrontées pour équilibrer la liberté d’expression et la tolérance.
Le Sénégal, comme toute autre démocratie, doit continuellement évaluer ses lois et ses actions pour s’assurer qu’elles protègent à la fois la liberté individuelle et la cohésion sociale, évitant ainsi la dérive autoritaire tout en régulant les discours nuisibles.
La vigilance citoyenne et le respect des droits de l’homme sont plus que jamais nécessaires pour éviter une dérive autoritaire qui mettrait en péril les acquis démocratiques du Sénégal. Ousmane Sonko et ses alliés ont la responsabilité historique de ne pas reproduire les erreurs du passé, mais de bâtir une démocratie résiliente et tolérante, où la critique constructive et le débat ouvert peuvent prospérer.
F. Togola
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