Par un mélange d’idéologie, de misère et de cynisme stratégique, les groupes armés qui sévissent entre le Mali, le Burkina Faso et le Niger recrutent massivement des mineurs. Face à cette hémorragie humaine, les États sahéliens peinent à enrayer un engrenage tragique qui mine aussi leurs efforts militaires.
Il s’appelle Seydou. Dans le roman Enfant des ruines de Fousseni Togola, il incarne le visage d’une génération que la guerre a kidnappée. De Gao à Solhan, de Tillabéri à Mopti, ce sont des milliers d’enfants qui, depuis plus d’une décennie, ont vu leur destin basculer dans les rangs des groupes terroristes. Loin des discours diplomatiques, c’est là que se joue une des grandes tragédies du Sahel : celle des enfants soldats.
Une armée d’ombres juvéniles
Au Burkina Faso, certains ont à peine huit ans. Au Mali, ils sont parfois enrôlés dès les écoles coraniques, abandonnés par leurs maîtres, récupérés par la propagande salafiste. Filles ou garçons, ils deviennent kamikazes, éclaireurs, sentinelles ou esclaves sexuels. Selon l’UNICEF, 15 % des enfants soldats sont des filles. Les garçons, eux, composent souvent la chair à canon d’assauts meurtriers. À Solhan, en 2021, 80 % des assaillants étaient mineurs.
Les groupes armés islamistes, comme l’EIGS ou le GSIM, instrumentalisent la pauvreté, les rivalités communautaires et l’effondrement de l’éducation. Les écoles ? Six mille ont été détruites dans la région. Au Mali, seules 12 % des communes en zone rouge ont encore une école en fonctionnement. Le vide laissé par l’État est comblé par des dogmes et des kalachnikovs.
Un dilemme tactique pour les armées nationales
Que faire lorsque l’ennemi a le visage de l’enfance ? Les soldats sahéliens, confrontés à ces dilemmes moraux, voient leur capacité de riposte altérée. Chaque tir devient un acte de conscience. Chaque opération, un risque de tragédie collatérale. À cela s’ajoute la complexité logistique : détecter un adolescent armé au sein d’une foule civile relève de la gageure. Le paradoxe est cruel : frapper, c’est trahir sa propre humanité ; ne rien faire, c’est laisser l’ennemi se renforcer.
Les armées, dès lors, s’adaptent. Au Niger, le bataillon « Tahoua » s’est doté d’équipes de psychologues pour gérer les enfants capturés. Au Burkina, une part croissante des ressources militaires est dédiée à la protection civile. La guerre n’est plus seulement une affaire de fusils : elle devient une bataille pour les âmes.
Des réponses encore trop timides
Face à l’ampleur du drame, les réponses institutionnelles peinent à suivre. À Gao, le centre de transit pour enfants démobilisés peut héberger 50 mineurs. Or, 200 nouvelles recrues y sont identifiées chaque année. La réintégration est souvent un mirage : rejetés par leur famille, stigmatisés dans leurs villages, nombre d’enfants reprennent la route des armes.
Pourtant, des signaux faibles esquissent une alternative. Des écoles mobiles sillonnent désormais le nord burkinabè. Au Mali, un programme expérimental verse une allocation mensuelle aux familles qui gardent leurs enfants à l’abri des recruteurs. Au Niger, des comités de vigilance communautaires alertent les autorités sur les tentatives d’enrôlement.
Mais la guerre impose son propre tempo. Et le temps, dans le Sahel, est une denrée rare.
Un enjeu de souveraineté
Les enfants soldats ne sont pas seulement une tragédie humanitaire. Ils représentent un multiplicateur de puissance pour les groupes armés. Ils sapent les efforts de stabilisation, délégitiment les États, détruisent le tissu social. Tant que l’école ne remplace pas la kalachnikov, tant que la justice n’offre pas une alternative crédible à la vengeance, la reconquête militaire restera incomplète.
Assimi Goïta et ses homologues burkinabè et nigérien le savent : sans victoire sur le terrain social, l’effort sécuritaire restera inabouti. L’avenir du Sahel ne se joue pas seulement dans les casernes, mais aussi dans les classes, les familles et les mosquées.
Seydou, l’enfant des ruines, n’est pas un personnage de fiction. Il est le miroir de notre impuissance, mais aussi de ce que pourrait être, demain, la dignité retrouvée d’un continent. À condition de ne plus le regarder sans agir.
A.D
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