Accueil » Blog » A la Une » Sahel, entre sable et promesse : la Grande Muraille Verte en 2025, mythe ou salut ?

Sahel, entre sable et promesse : la Grande Muraille Verte en 2025, mythe ou salut ?

0 comments 223 views 5 minutes read

Alors qu’elle devait être le rempart végétal de l’Afrique face au désert, la Grande Muraille Verte peine, en 2025, à tenir ses promesses initiales. Entre crises sécuritaires, lenteurs bureaucratiques et efforts de réorientation stratégique, cette initiative panafricaine vit une mutation profonde. Reportage au cœur d’un projet aussi symbolique que chaotique, devenu à la fois laboratoire d’espoirs écologiques et révélateur des paradoxes du Sahel.

Il y a des promesses qui se fanent comme les feuilles sous le soleil du Sahel. Et il y a celles qui, envers et contre tout, s’accrochent à la terre, aux racines, à la poussière. C’est le cas de la Grande Muraille Verte (GMV), cette ambitieuse ceinture végétale de 8 000 kilomètres censée repousser le désert et restaurer les terres arides du continent africain. Initiée en 2007 par l’Union africaine, la GMV entendait sauver ce qui pouvait encore l’être : sols, biodiversité, populations. Mais en 2025, où en est-on vraiment ?

Une idée simple, une exécution complexe

À l’origine, l’idée avait la beauté brute des projets nés de l’urgence : planter des arbres du Sénégal à Djibouti pour enrayer l’avancée inexorable du Sahara. Dans les faits, on parlait de restaurer 100 millions d’hectares de terres dégradées d’ici 2030, de créer 10 millions d’emplois, de capter 250 millions de tonnes de CO₂. Un pacte écologique et social pour les peuples du Sahel. Sur le papier, l’Afrique innovait. Dans les bilans, elle balbutiait.

En 2020, le constat était cruel : à peine 18 % des objectifs atteints. Une immense ambition en panne de gouvernance, de coordination et de moyens. Depuis, sous la pression des critiques internationales, les lignes ont bougé. Fin 2021, un « Accélérateur de la GMV » est lancé. Nouvelle stratégie, nouvel espoir : place aux « bassins verts », des zones ciblées, plus réalistes que la continuité linéaire initialement rêvée.

2025 : changement de méthode, mais quel changement de fond ?

Aujourd’hui, la GMV est un archipel de projets épars, supervisés par une plateforme de suivi numérique. Un progrès, certes, mais aussi un aveu : la promesse d’un mur végétal ininterrompu s’est effacée devant la complexité du terrain. La vision s’est fragmentée pour s’adapter. Ce n’est plus une ligne, c’est un patchwork.

Oblé Neya, coordinateur régional du programme climat pour Enabel, l’agence belge de développement, ne mâche pas ses mots : « Planter des arbres ne suffit pas. Si vous ne changez pas les systèmes agricoles, si vous n’impliquer pas les populations, rien ne tiendra. » L’approche aujourd’hui se veut holistique : elle englobe l’agroforesterie, la gestion des ressources hydriques, l’élevage, l’éducation environnementale, et même l’accès à l’énergie.

Une promesse verte dans un champ de mines

Mais l’arbre ne cache pas la forêt des difficultés. Le Sahel, zone la plus vulnérable aux changements climatiques, est aussi l’une des plus instables du monde. Mali, Niger, Burkina Faso : autant de pays dont les zones d’intervention de la GMV sont aujourd’hui des foyers de violences djihadistes. Comment planter des arbres là où les écoles brûlent, où les ONG fuient, où les routes sont piégées ?

La question de la sécurité reste le nœud gordien. Des zones entières sont inaccessibles aux techniciens, agronomes ou agents de suivi. « Il y a des endroits où même les États ont reculé. Comment voulez-vous faire du développement durable sans l’État ? », s’interroge un expert onusien sous couvert d’anonymat.

À cela s’ajoute le retard des financements. Si la Banque africaine de développement a débloqué un peu moins de 2 millions d’unités de compte africaines, les promesses des bailleurs se concrétisent au compte-gouttes. Le manque de coordination entre les onze pays concernés, et la faible capacité d’absorption des fonds par les institutions locales, aggravent l’impasse.

La GMV au concret : quelques succès, beaucoup de tâtonnements

Et pourtant. Malgré le chaos ambiant, des résultats apparaissent. Dans certaines zones du Sénégal, du Niger ou de l’Éthiopie, la terre reprend vie. Des hectares reverdis, des mares reconstituées, des troupeaux retrouvant des parcours. En 2020, la GMV avait généré près de 350 000 emplois. Un chiffre modeste, mais tangible.

L’accent mis sur les « unités agro-sylvo-pastorales » – mixant culture, élevage et reboisement – montre des signes d’efficacité. À condition que les populations locales y soient associées. Là où les projets sont pensés avec elles, et non pour elles, les résultats sont plus durables.

À Koyli Alpha, au Sénégal, le chef du village explique : « Le projet n’a pas juste apporté des arbres, il a apporté un puits, une école, des formations. On a changé notre manière de vivre. » Mais ces îlots de réussite restent minoritaires, éclipsés par des zones mortes et des plantations abandonnées faute d’entretien ou d’eau.

Une gouvernance tentaculaire

C’est sans doute là que le bât blesse encore : une gouvernance à mille têtes. L’Agence Panafricaine de la GMV, les comités régionaux, les ministères nationaux, les ONG partenaires, les bailleurs, les collectivités locales… Chacun avec ses priorités, ses indicateurs, ses contraintes. Résultat : lenteur, redondances, conflits d’intérêts.

L’initiative a certes gagné en transparence grâce à sa plateforme numérique de suivi. Mais sans simplification institutionnelle, le risque est grand que les mêmes erreurs se répètent. Le projet GMV, aussi noble soit-il, ne survivra pas à un excès de technocratie.

La GMV est bien plus qu’un programme écologique. Elle est un miroir grossissant des contradictions africaines : entre ambition continentale et fragmentation nationale ; entre urgence environnementale et crise sécuritaire ; entre volonté de souveraineté et dépendance au financement extérieur.

Elle est aussi un test. Si elle réussit, elle prouvera que l’Afrique peut innover pour répondre à ses défis environnementaux. Si elle échoue, elle rejoindra la longue liste des utopies africaines brisées par le réel.

En 2025, la Grande Muraille Verte avance. Lentement. Prudemment. Par à-coups. Elle pousse à contre-vent, à contre-crise, dans un désert d’obstacles. Elle n’est plus un mur. Elle est un jardin d’expériences. Mais un jardin qu’il faut entretenir, protéger, financer, et surtout, habiter. Car c’est là, au bout du compte, que tout se joue : faire du vert un foyer, et non un mirage.

Chiencoro Diarra 


En savoir plus sur Sahel Tribune

Subscribe to get the latest posts sent to your email.

Veuillez laisser un petit commentaire pour nous encourager dans notre dynamique !

A propos

Sahel Tribune est un site indépendant d’informations, d’analyses et d’enquêtes sur les actualités brûlantes du Sahel. Il a été initialement créé en 2020, au Mali, sous le nom Phileingora…

derniers articles

Newsletter

© 2023 Sahel Tribune. Tous droits réservés. Design by Sanawa Corporate

error: Le contenu est protégé !!