Dans un Sahel ravagé par l’insécurité et la faim, le Ramadan devient à la fois une épreuve de survie et un révélateur des fractures d’une région en quête d’avenir.
Le Sahel traverse l’un des moments les plus critiques de son histoire, depuis des décennies. Guerres, insécurité alimentaire, déplacements massifs, autant de fléaux qui transforment ce mois de jeûne en une épreuve d’une rare intensité. Pourtant, là où l’État se délite, là où l’économie vacille, la religion demeure. Elle structure le temps, elle donne un sens aux privations, elle permet d’organiser la survie.
Le Ramadan, dans cette région du monde, n’est pas qu’un rituel religieux, il est une boussole sociale, un test de résilience, un révélateur des failles et des espoirs d’une civilisation en mutation.
Un Sahel en rupture
Depuis plus d’une décennie, le Sahel est devenu le laboratoire des crises du XXIᵉ siècle. Crise climatique, crise sécuritaire, crise politique, crise alimentaire. Tout s’y cumule, tout s’y entrechoque. En 2023, les violences djihadistes ont causé plus de 12 000 morts, les États se sont effondrés les uns après les autres, et des millions de personnes ont été déplacées.
Dans ce chaos, les structures traditionnelles se recomposent. L’État se fait rare ? Les chefs de village reprennent du pouvoir. L’économie est asphyxiée ? Le troc et les solidarités informelles refont surface.
Et le Ramadan, lui, continue. Parce qu’il est une discipline avant d’être une célébration. Parce qu’il impose un ordre dans un monde qui se délite.
Entre pénurie et contrôle des ressources
Mais comment jeûner quand la faim n’est plus une option spirituelle, mais une réalité quotidienne ?
Les marchés sont fermés ou contrôlés par des groupes armés, les routes sont devenues des corridors de l’insécurité, les champs sont impraticables faute de sécurité. Dans certaines zones, « l’OPAM n’est plus en mesure d’assurer un approvisionnement régulier des stocks stratégiques », et des millions de personnes souffrent de malnutrition sévère.
Là où la rareté s’installe, de nouveaux pouvoirs émergent. Les groupes djihadistes qui contrôlent certaines régions permettent la pratique religieuse, mais imposent leur lecture rigoriste de la charia. La prière est obligatoire, mais surveillée. L’aumône est exigée, mais réquisitionnée. Les lois de la guerre redessinent les lois de la foi.
Un futur à inventer
Que restera-t-il de cette période ? Une région encore plus fracturée ? Une société en quête de nouveaux repères ?
Le Sahel est aujourd’hui un avant-poste du monde à venir. Le dérèglement climatique y préfigure celui de la planète entière. Les guerres hybrides, entre États et groupes armés, annoncent les conflits du futur. L’effondrement des économies locales anticipe ce qui attend d’autres territoires.
Si les États veulent éviter un siècle de chaos, ils devront repenser entièrement leur mode de gouvernance, redonner du pouvoir aux communautés locales, investir dans l’éducation et l’agriculture, créer un système économique adapté à ces nouvelles réalités.
Le Ramadan, chaque année, rappelle aux populations du Sahel leur capacité à surmonter l’épreuve. Mais il ne peut être un refuge éternel.
Si rien ne change, ce n’est plus un mois de privation qui attend le Sahel, mais une génération entière de survie sous contrainte.
A.D
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