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Nigeria – Buhari, le dernier soldat

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Il fut d’abord un sabre, puis une urne. Le général-président devenu président-général s’en est allé, à 82 ans, dans une clinique londonienne. Muhammadu Buhari aura traversé la vie politique nigériane tel un roc granitique : inamovible, austère, insaisissable. Son décès clôt un chapitre de l’Afrique postcoloniale où les képis se sont peu à peu mués en complets civils — non sans nostalgies ni controverses.
C’est par la voix feutrée de son ancien porte-parole que la nouvelle est tombée : Muhammadu Buhari n’est plus. Ce dimanche 13 juillet 2025, dans le confort aseptisé d’une clinique de Londres où il s’était exilé pour ses soins depuis avril, l’ancien président nigérian a tiré sa révérence. 82 ans, dont plus de 40 passés dans les arcanes du pouvoir, entre jungle militaire et joutes démocratiques. Un mythe africain s’effondre, aussi rigide dans la mort qu’il le fut dans la vie.

Le mythe du « born again democrat »

Né en décembre 1942 à Daura, dans ce nord féodal et peul où la hiérarchie n’est pas un concept mais un destin, Buhari était un homme d’ordre, de structure, de commandement. Petit dernier d’une fratrie de 23, orphelin de père à quatre ans, il avait été élevé dans une rectitude qui ne le quittera jamais. 

Quand, le 31 décembre 1983, il renverse le président Shagari par les armes, le Nigeria ne voit pas venir un despote, mais un redresseur de torts. Ce n’est pas un aventurier, c’est un doctrinaire. Sa croisade ? La « discipline nationale« . Sa méthode ? La matraque, la gifle, la peur. Fela Kuti, l’insoumis saxophoniste, en fera les frais.

Puis vint l’exil intérieur. Évincé par un autre général (Babangida), Buhari disparaît des radars, tel un ermite armé de principes, ruminant dans le silence de Katsina les turpitudes de la République. Il lui faudra attendre 2015, et trois candidatures perdues, pour revenir en majesté : élu président démocratiquement, battant le sortant Goodluck Jonathan dans un élan d’alternance salué dans toute l’Afrique. Une première dans l’histoire du Nigeria. Le mythe du « born again democrat » est lancé.

Le patriarche s’est tué à la tâche

Mais la mue ne sera que partielle. Président civil, Buhari gouverne toujours en général, vertical, distant, peu loquace. Il promet une guerre totale contre la corruption, mais se heurte à l’hydre bureaucratique. Il jure d’en finir avec Boko Haram, mais l’insécurité se déplace sans se dissiper. L’économie ? Elle chancelle sous deux récessions et un baril de pétrole dégringolant. Les illusions s’étiolent, la fatigue s’installe.

La jeunesse, elle, se réveille. Octobre 2020, manifestations EndSARS contre les brutalités policières : le massacre de Lekki souille définitivement l’image d’un patriarche autoritaire devenu sourd à son peuple. Suspendre Twitter ? Un aveu d’impuissance. Comme un roi nu dans un monde digitalisé.

La santé, aussi, devient un secret d’État. Des mois entiers passés à Londres pour des soins jamais détaillés, un président devenu silhouette, que certains soupçonnent même d’avoir été remplacé par un sosie… La rumeur, au Nigeria, est un art national. Jusqu’à ce 13 juillet, 16h30, où l’Histoire s’écrit pour de bon.

Le patriarche s’est tué à la tâche

Bola Tinubu, son successeur, réagit avec mesure. Les drapeaux sont mis en berne, l’Afrique s’incline. Gambiens, Bissau-Guinéens, Congolais lui rendent hommage. Non sans ambivalence : le respect pour l’homme droit, l’austère, le vertueux ; mais aussi le regret d’un dirigeant resté figé, comme prisonnier d’un logiciel politique hérité des années 1980.

Sa déclaration inaugurale en 2015 résonne comme un épitaphe : « Je suis à tout le monde, je ne suis à personne. » Un vœu d’universalité, devenu parfois solitude. Car Muhammadu Buhari, c’était aussi cela : un homme de principes, mais de peu de compromis. Dans un continent où le pardon est une stratégie, lui ne savait que tenir la ligne. Jusqu’au bout.

La rédaction 


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