Au Mali, où un million de personnes pratiquent encore la défécation à l’air libre, les toilettes publiques sont rares, insalubres, parfois payantes. Derrière ce paradoxe se cache une réalité brutale : dans un pays où l’assainissement reste le parent pauvre des politiques publiques, se soulager dignement relève souvent du privilège.
À Bamako, devant les rares toilettes publiques du CHU Gabriel Touré, les files s’allongent. En 2022, c’était seulement cinq cabines fonctionnelles sur dix pour des centaines de patients et d’accompagnants : trois heures d’attente, parfois, pour accéder à une installation qui n’a plus rien de sanitaire. Ailleurs, à Faladiè Garbal, site de déplacés, 335 familles se partagent 35 latrines. Résultat : cinq cents personnes par toilette. Ce n’est plus de l’hygiène, c’est une roulette russe sanitaire.
Dans ce pays où seulement 45 % de la population dispose d’un service d’assainissement de base, plus d’un million de Maliens continuent à déféquer à l’air libre. La statistique dit tout : l’infrastructure n’existe pas, ou si peu, et quand elle existe, elle se dégrade, faute d’entretien, de financement, de volonté politique. Les toilettes publiques, censées être un bien commun, deviennent un luxe à ciel ouvert.
La honte des « foutoirs publics »
À Bamako, l’expression revient dans les témoignages : « foutoirs ». Pas de savon, pas d’eau courante, pas d’entretien. Les lieux censés protéger la dignité se transforment en foyers de contamination. Fuites, stagnations, déchets abandonnés, parfois même des vers grouillant au sol. Ici, les toilettes ne préviennent pas la maladie, elles l’installent.
Et quand il ne s’agit pas d’hygiène, c’est l’argent qui pose problème. Dans un pays où la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté, on exige 50 à 100 francs CFA pour chaque passage. L’équation est absurde : choisir entre se soulager dignement ou économiser pour manger.
Femmes, enfants, déplacés : les oubliés
Les premières victimes sont connues : femmes, enfants, personnes déplacées. À Faladiè, encore, ce sont les mères qui s’inquiètent le plus pour leurs filles, contraintes d’attendre la nuit pour se soulager, au risque d’agressions. Les personnes handicapées, elles, se voient privées de tout accès, faute d’installations adaptées. La défécation à l’air libre devient alors la seule alternative.
Les inégalités ne sont pas seulement sociales, elles sont aussi géographiques. À Koulikoro, seulement 14 % des zones rurales disposent d’un service d’assainissement. Dans ces villages, la latrine n’est pas une évidence, mais un luxe.
Un choix politique
Le paradoxe est connu : l’État dépense deux fois plus pour l’eau que pour l’assainissement. Les chiffres du budget 2018 en témoignent : 4,2 milliards pour l’assainissement, 7,6 pour l’eau. Résultat : des projets en retard, des communes sans moyens, et une Direction nationale de contrôle des pollutions incapable d’imposer ses directives.
Pourtant, tout est une question de priorité. Construire un bloc de trois latrines publiques coûte un peu plus d’un million de francs CFA. Une somme importante pour une mairie, certes, mais ridicule au regard du coût social et sanitaire des diarrhées, de la malnutrition et des infections que provoque l’absence de toilettes.
Un enjeu de dignité nationale
Il existe bien des solutions. L’Assainissement total piloté par la communauté (ATPC) a permis de certifier 750 villages comme « fin de la défécation à l’air libre ». Des partenariats public-privé émergent ici et là, entre communes, ONG et micro-entreprises. Mais ces efforts restent marginaux. Sans volonté nationale forte, ils sont des gouttes d’eau dans un océan de boue.
Au Mali, aller aux toilettes ne devrait pas être une affaire de chance ou de portefeuille. C’est une question de dignité humaine et de santé publique. Tant que l’assainissement restera le parent pauvre des politiques, la promesse des Objectifs de développement durable de 2030 – l’accès universel à l’eau et à l’hygiène – restera une chimère.
Le paradoxe est que dans un pays où l’on parle de modernisation, il suffit d’entrer dans un hôpital ou un camp de déplacés pour comprendre la vérité. Le Mali ne gagnera pas sa bataille contre la pauvreté et les maladies tant qu’il n’aura pas gagné celle, plus discrète mais tout aussi cruciale, de ses toilettes publiques.
Chiencoro Diarra
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