À Diallassagou, Bankass ou Guiré, les balles sifflent et les silences pèsent. Pourtant, au milieu de la peur et du chaos, l’État malien tente de rester debout. Dans cette analyse intime, Mikailou Cissé, professeur de philosophe au niveau de l’enseignement secondaire général, explore, souvent une dose de fiction, la guerre non pas comme affrontement militaire, mais comme lutte pour préserver l’humanité, la parole et l’espoir dans les villages oubliés.
Il y a des villages où le silence ne repose pas : il pèse. Diallassagou, Toguéré-Coumbé, Guiré… Des noms qu’on entend dans les journaux, associés à des bilans, à des chiffres. Mais derrière chaque nom, il y a une place vidée, une mosquée à moitié détruite, un puits abandonné. Et toujours cette même question : comment continuer à vivre, quand tout semble s’effondrer autour ?
Je suis allé dans ces villages. Pas pour faire un reportage. Pour comprendre ce qui fait qu’on reste. Ce qui fait qu’on croit encore. Ce qui pousse des femmes à planter du mil malgré les fusils au loin, des hommes à garder les troupeaux même quand les sentiers ne sont plus sûrs. Ce que j’ai vu, ce n’est pas de l’héroïsme. C’est une forme de courage plus discret : celui de ceux qui restent quand tous les repères tombent.
Quand l’État se bat pour rester présent
L’État malien n’a pas disparu. Il ne fait pas de miracles. Mais il reste là. À travers ses soldats, qui parfois ne dorment pas trois nuits de suite. À travers ces convois qui ravitaillent les zones les plus reculées. À travers ces agents de santé, ces enseignants, ces préfets qui tiennent malgré tout. Parfois sous menace. Parfois seuls. Mais ils tiennent.
J’ai parlé à une infirmière à Bankass. Fatimata. Elle m’a dit : « J’ai voulu partir. Trois fois. Et puis j’ai vu que les enfants n’avaient personne d’autre. Alors je suis restée. » Son centre de santé a été ravitaillé la semaine dernière. Pas assez, mais c’est déjà ça. Grâce à l’armée. Grâce à l’organisation des autorités locales. Ce ne sont pas de grandes victoires, mais c’est la preuve qu’on avance.
La guerre n’est plus une guerre. C’est un oubli organisé
Ce que nous vivons, ce n’est pas seulement une guerre. C’est un effacement. Les groupes djihadistes ne viennent pas conquérir. Ils viennent effacer : les écoles, les marchés, les souvenirs. Ils sèment la peur, ils interdisent les fêtes, ils dictent des règles absurdes. Et puis ils disparaissent. Jusqu’à la prochaine attaque.
Mais ce qui est plus dangereux que les armes, c’est ce qu’ils laissent : le doute. L’impression que rien ne changera. C’est là que l’État doit être fort. Pas seulement par la force, mais par la parole. Par l’écoute. Par la réparation.
Des soldats jeunes, épuisés, mais debout
J’ai vu des soldats. Souvent très jeunes. Ils n’ont pas de grandes phrases. Mais ils m’ont parlé de leurs mères, de leurs villages. L’un m’a dit : « Je suis ici pour que ma sœur puisse continuer à vendre au marché. » Ce n’est pas de la politique. C’est de l’amour. C’est cela, la vraie raison de leur engagement.
Oui, certains sont tombés. Trop. Mais d’autres sont là. Et ils demandent juste à ce qu’on ne les oublie pas. À ce qu’on comprenne que derrière chaque opération, chaque patrouille, il y a un être humain qui veut rentrer vivant.
Redonner du sens
Les autorités maliennes, dans ce contexte, tentent de recoudre un tissu déchiré. Ce n’est pas parfait. C’est lent. Mais c’est réel. Et c’est visible. Chaque poste reconstruit, chaque école rouverte, chaque fonctionnaire qui retourne dans sa bourgade natale, est une victoire.
Je ne veux pas conclure avec des chiffres. Ce serait trahir ce que j’ai vu. Je veux conclure avec cette image : une vieille femme, à Diallassagou, qui arrose encore ses plants de gombo, malgré tout. « Même s’ils reviennent demain, je ne vais pas les laisser mourir », m’a-t-elle dit. Elle parlait de ses plantes. Mais aussi, je crois, de son pays.
Il n’y a pas de paix simple. Mais il y a une chose qui ne meurt pas : la volonté de rester debout. Et c’est là que se joue la véritable bataille du Mali.
Mikaïlou Cissé
En savoir plus sur Sahel Tribune
Subscribe to get the latest posts sent to your email.