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Mali : Moussa Mara, l’art de parler avec ceux qu’on voulait faire taire

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De l’intransigeance à l’ouverture, Moussa Mara incarne à lui seul les contradictions d’un Mali tiraillé entre principes républicains et réalités d’une guerre sans fin.

Il fut un temps – c’était en février 2020 – où Moussa Mara, costume droit et verbe tranchant, fustigeait avec constance l’idée même de discuter avec les terroristes. « Une fausse bonne idée », dénonçait-il alors, avec cette conviction martelée comme une vérité d’État. Cinq ans plus tard, dans les colonnes de Jeune Afrique, l’ancien Premier ministre se fait l’avocat d’un dialogue « avec les terroristes maliens ». Pas avec tout le monde, nuance-t-il, mais avec ceux d’entre eux qui, Maliens d’origine, seraient prêts à revenir dans le giron de la République.

Un retournement ? Un aggiornamento ? Une prise de conscience ? C’est selon. Mais dans les couloirs feutrés de Bamako, certains y voient moins une évolution doctrinale qu’un repositionnement politique soigneusement calibré, à l’heure où la question de la paix — ou plutôt de la sortie de guerre — devient centrale dans le discours des nouveaux maîtres du Sahel.

De la condamnation absolue…

2020, donc. Mara, alors en quête de crédibilité politique post-primature, se démarque avec force d’une stratégie d’ouverture aux djihadistes esquissée par les autorités d’alors. Il dénonce, textes à l’appui, les dérives d’un processus qui, selon lui, ne ferait qu’encourager la terreur. « Négocier avec les terroristes, c’est institutionnaliser la violence comme mode d’expression », écrivait-il. Il comparait ces tractations à des négociations avec des preneurs d’otages : dangereuses, contre-productives, et porteuses d’un message fatal à la cohésion nationale.

Iyad Ag Ghali ? Amadou Kouffa ? À ses yeux, des hommes entièrement absorbés dans la dynamique terroriste, liés à des réseaux internationaux, irrécupérables politiquement, et donc indiscutables. La République était, en somme, non négociable. Et ceux qui la défiaient par les armes devaient être combattus, pas courtisés.

… à l’ouverture conditionnelle

Mars 2025. Même homme, ton plus mesuré, posture plus réaliste, ou plus tactique. Cette fois, il parle de ceux des nôtres : les Maliens engagés dans la lutte armée, à distinguer des étrangers de l’État islamique au Grand Sahara (EIGS) ou d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). À ces premiers, il tend la main, pour peu qu’ils acceptent le cadre de la République — une et indivisible, laïque, selon les termes de l’accord d’Alger de 2015, dénoncé par les autorités maliennes de la transition le 25 janvier 2025.

Le contexte a changé. Le Mali, comme le Burkina Faso, comme le Niger, vit désormais sous l’autorité de régimes militaires qui, en dépit de leur rhétorique de fermeté, savent que la solution au conflit ne peut être purement militaire. Et Mara, fin connaisseur du terrain, sait que l’opinion publique, épuisée par la guerre, reste encline à soutenir toute initiative susceptible de ramener la paix.

Pragmatisme ou repositionnement ?

Dans cette nouvelle donne politique, les symboles comptent autant que les discours. Et dans cette recomposition, la guerre ne se mène plus seulement sur les champs de bataille ou dans les chancelleries : elle se mène aussi dans le langage. Qui est terroriste, qui ne l’est pas ? À qui tend-on la main, à qui la ferme-t-on ? Le glissement sémantique opéré par Mara entre 2020 et 2025 est à ce titre révélateur : l’homme d’État inflexible devient le stratège pragmatique.

Reste la question de fond : ce revirement est-il le fruit d’une réflexion stratégique, ou d’un calcul politique ? Les sceptiques, nombreux à Bamako, y voient un alignement opportuniste avec la nouvelle ligne du pouvoir, qui explore aujourd’hui, discrètement mais activement, les pistes du dialogue communautaire pour isoler les chefs terroristes et réintégrer les recrues locales.

Mara, le miroir du Mali

Mais ce changement est aussi symptomatique d’une vérité plus dérangeante. Dans une guerre sans fin, où les ennemis d’hier deviennent les négociateurs de demain, les lignes ne cessent de bouger. Et la République, même laïque et indivisible, n’est plus un dogme intouchable mais une construction mouvante, soumise aux aléas du réel.

Moussa Mara n’a peut-être pas changé. Il a simplement pris acte d’un contexte nouveau. Comme bien d’autres figures de l’élite politique malienne, il compose avec les vents contraires, entre convictions affichées et nécessités de terrain. En cela, il n’est pas une anomalie mais un miroir : celui d’un Mali en quête d’une paix qu’il ne peut plus se permettre de repousser — même au prix de ses certitudes.

A.D


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