Au Sénégal, l’arrestation de Moustapha Diakhaté pour ses propos jugés insultants relance le débat sur les limites de la liberté d’expression dans une démocratie moderne.
Le Sénégal, souvent cité en exemple pour sa stabilité démocratique en Afrique de l’Ouest, fait à nouveau la une avec une affaire mêlant liberté d’expression et limites du discours public. Cette fois, c’est Moustapha Diakhaté, ancien président du groupe parlementaire de la coalition Benno Bokk Yaakaar, qui est au centre de la controverse. Ses propos, qualifiant les Sénégalais de « peuple maudit » pour avoir choisi Bassirou Diomaye Faye comme président, lui ont valu une garde à vue prolongée, marquant un nouvel épisode de tensions autour de la liberté d’expression dans le pays.
Démocratie et responsabilité : l’équilibre fragile
Contrairement à d’autres pays de la sous-région, notamment le Mali, où les militaires en treillis dictent les règles, le Sénégal se distingue par une gouvernance civile élue et des institutions démocratiques solides. Cependant, cet avantage ne l’exempte pas de défis majeurs, notamment celui de concilier liberté d’expression et respect des valeurs sociétales.
L’arrestation de Moustapha Diakhaté met en lumière cette tension. S’exprimant sur une chaîne privée, il a fait des déclarations jugées offensantes envers toute une nation. Le recours à des lois datant des années 60 pour encadrer ces excès, comme l’a dénoncé Seydi Gassama d’Amnesty International, montre que même dans une démocratie, les abus de langage ne sont pas exempts de conséquences.
Un contexte juridique dépassé, mais pas sans fondement
Seydi Gassama soulève un point pertinent : les lois régissant l’expression publique au Sénégal datent d’une époque où les médias d’État contrôlaient l’information et où les partis uniques dominaient la scène politique. Dans un contexte moderne marqué par les réseaux sociaux et les médias privés, ces lois semblent désuètes, voire oppressives.
Cependant, leur application rappelle que le droit à la parole libre n’est pas absolu. Même dans une démocratie, il existe des limites nécessaires pour prévenir les discours haineux ou incendiaires. Le cas Diakhaté illustre la volonté de l’État de ne pas laisser l’espace public devenir une arène où tout est permis, sous prétexte de liberté d’expression.
Le Sénégal, entre modernité et tradition
Il serait simpliste de comparer directement la situation sénégalaise à celle de ses voisins comme le Mali. Là où Bamako fait face à des dissensions parfois radicales sous la poigne de dirigeants militaires, Dakar s’efforce de maintenir l’ordre tout en respectant les fondements d’un État de droit. Pourtant, cette affaire met en évidence un paradoxe : les valeurs démocratiques sénégalaises, censées garantir la liberté d’expression, peuvent elles-mêmes être invoquées pour réprimer cette même liberté.
La déclaration de Moustapha Diakhaté n’est pas anodine. Décrire un peuple comme « maudit » dépasse la simple critique politique. C’est une attaque directe contre la dignité nationale. Une démocratie ne peut tolérer de tels dérapages sans réagir, car laisser ces propos impunis reviendrait à fragiliser le tissu social.
Vers une réforme des lois sur l’expression publique
Cela dit, la critique d’Amnesty International mérite d’être entendue. L’arrestation de Diakhaté relance le débat sur l’adéquation des lois actuelles aux réalités d’une société démocratique moderne. Si le Sénégal veut continuer à se démarquer comme un modèle, il doit réformer ses textes juridiques pour qu’ils protègent autant la liberté d’expression que le respect mutuel.
Il ne s’agit pas de permettre tous les écarts, mais de définir clairement les frontières du discours acceptable, tout en évitant un usage excessif des outils répressifs. À l’heure où les réseaux sociaux amplifient chaque mot, cette tâche est plus urgente que jamais.
Le Sénégal, bien qu’épargné par les crises institutionnelles que traversent certains de ses voisins, montre ici que la démocratie ne garantit pas l’absence de tensions. La garde à vue de Moustapha Diakhaté est la preuve que même dans un État de droit, des propos jugés insultants ou offensants peuvent conduire à des sanctions.
Le défi pour Dakar sera de maintenir cet équilibre fragile entre justice et liberté, sans tomber dans les travers d’un autoritarisme déguisé. Mais une chose est sûre : au Sénégal comme dans tout autre pays, on peut être élu et civil, mais les excès de langage ne passent pas.
Oumarou Fomba
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