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La Casamance et le débat sur l’héritage colonial

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La publication d’un livre sur l’autonomie de la Casamance par une historienne française a suscité une vive réaction au Sénégal. Le Premier ministre Ousmane Sonko dénonce une tentative de déstabilisation et réclame l’accès aux archives coloniales françaises sur les violences passées.

La publication d’ouvrages académiques peut parfois se transformer en catalyseur de tensions politiques et sociétales. C’est précisément ce qui se joue actuellement au Sénégal autour du livre de l’historienne française Séverine Awenengo Dalberto, intitulé L’idée de la Casamance autonome – Possibles et dettes morales de la situation coloniale au Sénégal. Alors que la question de l’unité nationale reste un sujet délicat, l’apparition de ce livre a ravivé de vieilles plaies et relancé des débats complexes sur la souveraineté, la mémoire collective et l’influence persistante des anciennes puissances coloniales.

Un ouvrage controversé et les réactions qu’il suscite

Présenté comme un travail purement historique par son autrice, le livre a néanmoins provoqué une onde de choc politique au Sénégal. Lors d’un discours enflammé à Ziguinchor, le Premier ministre Ousmane Sonko a dénoncé ce qu’il perçoit comme un projet de déstabilisation orchestré. Il a ainsi décrété que le livre ne serait ni autorisé, ni commercialisé dans le pays, affirmant que « ce livre-là, personne n’en fera la promotion au Sénégal ». 

Pour comprendre la colère sénégalaise, il est essentiel de replacer le débat dans son contexte historique. La Casamance, une région au sud du Sénégal séparée du reste du pays par la Gambie, est le théâtre d’un conflit qui perdure depuis 1982. Marquée par la lutte du Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC) pour l’indépendance, cette région reste une zone sensible politiquement et historiquement.

Sonko a rappelé l’engagement de l’État sénégalais à maintenir la Casamance au sein d’un État unitaire. Mais au-delà de cette question d’intégrité territoriale, le Premier ministre a profité de l’occasion pour appeler la France à une introspection sur ses propres archives historiques. « Si la France veut donner des archives, elle n’a qu’à nous donner les archives de ses exécutions sommaires pendant la colonisation », a-t-il souligné, évoquant notamment le massacre de Thiaroye de 1944, une tragédie encore douloureuse pour la mémoire collective sénégalaise.

La France et ses responsabilités historiques

Ce débat sur l’accès aux archives et la représentation historique révèle des tensions plus profondes concernant l’héritage de la colonisation et le contrôle du récit national. Alors que des ouvrages comme celui de Dalberto se penchent sur des aspects historiques complexes et souvent négligés, leur interprétation peut rapidement être perçue comme une tentative de relecture inappropriée de l’histoire par une perspective extérieure. C’est ce que critique Sonko, qui voit dans cette publication une intrusion dans des affaires strictement sénégalaises.

Le discours de Sonko reflète également un appel à la responsabilité de la France en tant qu’ancienne puissance coloniale. Les archives liées aux violences coloniales, aux exécutions sommaires et aux travaux forcés demeurent des sujets peu explorés, mais qui pèsent lourd dans les relations franco-sénégalaises. Pour beaucoup, la divulgation complète de ces documents est une étape nécessaire pour la réconciliation et la reconnaissance des souffrances endurées pendant la période coloniale. L’invocation de l’incident de Thiaroye, où des tirailleurs sénégalais furent massacrés par l’armée française, symbolise cette demande de vérité et de justice.

Réactions et enjeux politiques internes

La condamnation par le Premier ministre sénégalais s’inscrit dans un contexte politique où le nationalisme et la protection de la souveraineté occupent une place centrale. L’approche ferme de Sonko s’est aussi accompagnée d’un message clair : le Sénégal, en tant qu’État souverain, refuse d’être réduit au rôle de spectateur passif des récits externes qui cherchent à définir son histoire.

De l’autre côté, les éditions Karthala, éditrices du livre, ont exprimé leur regret face à ce qu’elles considèrent comme une « instrumentalisation politique d’un ouvrage scientifique par des personnes qui n’ont manifestement pas pris connaissance de son contenu ». 

La Casamance : entre potentiel économique et défis politiques

Cette région du Sénégal reste une zone d’intérêt non seulement à cause de son histoire complexe, mais aussi en raison de son potentiel économique inexploité. La paix durable en Casamance est un objectif maintes fois évoqué, mais jamais pleinement réalisé, malgré plusieurs tentatives de dialogue entre le gouvernement et des factions du MFDC. Dans ce cadre, la parution d’un ouvrage traitant de l’autonomie régionale est perçue comme une pierre dans l’édifice fragile de la stabilité.

La notion même d’« autonomie » abordée par le livre relance un débat sur l’interprétation des termes et des intentions. Pour Ousmane Sonko, il ne s’agit pas d’une simple nuance sémantique, mais d’une ligne rouge à ne pas franchir : « On ne veut pas d’autonomie, ce n’est pas ça la question. Nous sommes un État unitaire du nord au sud, de l’est à l’ouest ». 

Si la liberté académique est essentielle pour le développement de la connaissance, elle ne doit pas être dissociée du respect des sensibilités nationales. La ligne de crête entre l’histoire, la mémoire et la politique est étroite, et le Sénégal, comme d’autres nations postcoloniales, continue de naviguer dans cet espace complexe où le passé et le présent se heurtent.

Bakary Fomba


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