À six mois de leur rupture définitive avec la CEDEAO, Assimi Goïta, Ibrahim Traoré et Abdourahamane Tiani cristallisent les espoirs d’un Sahel souverain, sous le regard inquiet – voire hostile – du reste du monde.
Ils ont surgi sur la scène comme des silhouettes de roman : jeunes, en treillis, portés par des coups d’État, mais surtout par un coup de tonnerre dans l’ordre établi. En quelques mois, Assimi Goïta, Ibrahim Traoré et Abdourahamane Tiani sont passés du statut de « chefs de junte » à celui, plus sulfureux encore, de héros africains dans les récits du Sud global, et de trublions souverainistes dans les chancelleries occidentales. Trois hommes, trois trajectoires, mais une seule ligne politique : rompre, coûte que coûte.
Le départ fracassant de la CEDEAO
Le 29 janvier 2025, le Mali, le Burkina Faso et le Niger actaient, d’un même souffle et sans ciller, leur retrait collectif de la CEDEAO, cette vieille maison panafricaine que les trois capitales accusent d’avoir troqué ses idéaux communautaires contre les intérêts de Paris et d’Abuja. C’est à ce moment précis que le trio devient bloc, et que l’Alliance des États du Sahel (AES) prend son envol – plus qu’un pacte de défense, une proclamation de rupture.
Le geste n’était pas symbolique. Il était stratégique. Il était géopolitique. Et surtout, il était historique. En un article de communiqué, les trois États redessinaient les lignes de fracture régionales, dénonçaient l’interventionnisme militaire étranger, et affirmaient que désormais, nous déciderons seuls.
La souveraineté, ou rien
C’est ce mot – souveraineté – qui revient comme un mantra dans les discours d’Assimi Goïta, le discret stratège de Bamako, qui a su imposer un cap sans grands effets de manche. Depuis 2020, l’homme avance par palier, sans hâte, mais sans retour possible. Il a réécrit la Constitution, réorganisé les alliances, et scellé le départ des troupes françaises. Loin des projecteurs, il gouverne à l’économie, mais avec une vision claire. Celle de désoccidentaliser le Mali.
Face à lui, ou plutôt à ses côtés, Ibrahim Traoré, 36 ans, capitaine de feu et de verbe, s’impose comme la figure montante d’un panafricanisme nouveau. À Ouagadougou, il galvanise, il électrise. Mais il organise aussi l’armée, les services, la doctrine. Et surtout, il institutionnalise l’AES, en la dotant d’un calendrier, d’une doctrine sécuritaire et d’un horizon monétaire.
Quant à Abdourahamane Tiani, l’homme du dernier putsch nigérien, il campe le rôle du bouclier. C’est lui qui, en pleine tension diplomatique avec Paris et Washington, impulse la création d’une force antiterroriste conjointe et verrouille l’espace nigérien comme pour signifier que Niamey ne cédera rien.
Dans les unes du monde… et dans le viseur
Depuis janvier, la presse internationale s’est emparée du phénomène. De The Guardian de Russia Today à Al Jazeera, en passant par les réseaux sociaux africains, les visages de Goïta, Traoré et Tiani s’affichent, se discutent, s’érigent parfois en icônes d’un nationalisme africain libéré des tutelles.
Mais à cette adhésion populaire – souvent sincère – répond une stratégie de pression tous azimuts. Des résolutions floues de la CEDEAO, ultimatums tempérés, et en arrière-plan, une montée visible des attaques asymétriques, comme par coïncidence. Des attaques sporadiques, une inflation médiatique, des discours alarmistes. La machine à brouiller est lancée.
Car juillet 2025 approche. Et avec lui, la date butoir à laquelle le retrait de l’AES de la CEDEAO sera juridiquement effectif. Jusque-là, tout est permis. Des tentatives de réintégration, des messages diplomatiques codés, des campagnes de décrédibilisation. Le but ? Créer une zone grise d’instabilité pour désunir ce qui, aujourd’hui, tient encore debout.
Trois visages, un même combat
On peut critiquer les méthodes, on peut questionner les processus, mais une chose est certaine, jamais depuis les années d’indépendance, des chefs d’État africains n’avaient autant bousculé les codes, ni assumé aussi frontalement la défiance vis-à-vis de l’ordre post-colonial.
Assimi Goïta, Ibrahim Traoré et Abdourahamane Tiani ne sont pas seulement des hommes en kaki. Ils sont devenus, qu’on le veuille ou non, les porteurs d’un récit alternatif, celui d’une Afrique sahélienne qui revendique le droit à l’erreur, mais surtout, le droit au choix.
Resteront-ils les héros de cette histoire en gestation, ou en seront-ils les architectes inachevés ? Trop tôt pour le dire. Mais en ce premier semestre 2025, ils écrivent une page du continent, entre la braise des conflits et la clameur des peuples.
Et pendant que les grandes puissances réajustent leurs stratégies et que les diplomates scrutent les signaux faibles, le Sahel ne sera plus jamais périphérique.
A.D
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