À Bamako, Ouagadougou et Niamey, pays de l’AES, le plastique sature les rues, colonise les fleuves et s’infiltre jusque dans les ventres du bétail. À l’occasion de la Journée mondiale de l’environnement 2025, célébrée chaque 5 juin, retour sur une crise silencieuse aux racines politiques, économiques et existentielles.
C’est une guerre sans kalachnikovs ni drones FPV. Une guerre lente, insidieuse, contre un ennemi translucide et omniprésent : le plastique. Dans le triangle sahélien formé par le Mali, le Burkina Faso et le Niger, cette matière dérivée du pétrole et du laissez-faire politique colonise le quotidien. Sacs noirs qui volent au vent, caniveaux bouchés à Bamako, troupeaux décharnés à Zinder, maraîchers désespérés à Bobo-Dioulasso : autant de scènes d’un désastre écologique devenu chronique.
Du poison à la paralysie
En 2021, les pays d’Afrique de l’Ouest — y compris ceux qui n’ont jamais vu la mer — ont consommé 7,9 millions de tonnes de plastique. D’ici à 2026, ils en avaleront 12 millions. Dans cette courbe exponentielle, le Sahel intérieur tient une place singulière : faible capacité de recyclage, contrôle douanier défaillant, et dépendance quasi-totale à l’importation. Trois conditions d’une vulnérabilité économique qui rime avec pollution massive.
Au Mali, 320 000 tonnes de déchets plastiques s’entassent chaque année. À Bamako, les ordures obstruent les canalisations, aggravant les inondations saisonnières. Sur les berges du Niger, les sacs tissés d’Asie étranglent la photosynthèse, réduisent les rendements agricoles, bloquent les systèmes d’irrigation. Le même fleuve Niger, cette artère mythique célébrée par Hampâté Bâ, devient cloaque dans sa traversée sahélienne.
Et que dire de la loi ? À Bamako, elle existe — sur le papier. Interdiction des sachets plastiques depuis 2014, jamais ratifiée, jamais appliquée. Cette loi indiquait en son article 1er : « La présente loi interdit, à compter du 1er janvier 2014, la production, l’importation et la commercialisation de sachets plastiques non biodégradables en République du Mali. » Le président IBK l’avait rangée dans un tiroir poussiéreux. Les militaires au pouvoir depuis 2021 n’ont pas encore rouvert ce tiroir, occupés qu’ils sont par d’autres priorités jugées vitales.
Le Burkina Faso, radical mais fragile
À Ouagadougou, l’approche est plus frontale. Interdiction totale depuis octobre 2024, même pour les sachets biodégradables. Motif ? Le cheptel national a perdu 30 % de ses effectifs, les estomacs de zébus ne digérant pas les sacs d’importation. Roger Baro, ministre de l’Environnement, de l’Eau et de l’Assainissement du Burkina Faso, fait le dos rond : « Une transformation en profondeur des circuits économiques est inévitable », concède-t-il.
Le paradoxe saute aux yeux. Le pays, pionnier de la prohibition plastique, ne compte que deux centres de tri fonctionnels. Le recyclage ? Une idée noble, mais sous-financée. Le projet lancé en 2009 avec la Fondation Veolia s’essouffle. Les jeunes de l’association Espoir Jeune Burkinabé dénoncent l’absence de coordination. Résultat : 1 850 tonnes collectées… pour des centaines de milliers rejetées chaque mois.
Niger : les plastiques du silence
À Niamey, la loi existe aussi. Depuis 2014. Elle dort dans les mêmes limbes administratifs qu’à Bamako. Pendant ce temps, le fleuve Niger se transforme en delta empoisonné. Le débit a chuté de 18 % en cinq ans à Tillabéri. Les semences ne germent plus. Les phtalates — ces plastiques invisibles mais mortels — gangrènent les sols. Dans les dispensaires, les cas de choléra liés à l’obstruction des égouts explosent.
Colonel Boukar Koura Yagana, en charge de la salubrité urbaine, parle d’un cycle infernal : « Les sachets non biodégradables persistent 400 ans. Mais les importations illégales les rendent omniprésents. » Résultat : 55 % du plastique utilisé au Niger échappe à tout contrôle officiel.
Des mines et des paradoxes
À la mine d’or de Loulo, dans l’ouest malien, un modèle à contre-courant. L’entreprise — un géant sud-africain — a mis en place un système interne de gestion des plastiques. Elle expérimente des bioplastiques à base de déchets agricoles. 40 % de réduction de l’usage classique. Mohamed Keïta, directeur adjoint du pôle environnemental, ne mâche pas ses mots : « On ne peut pas attendre que l’État légifère. Il faut agir. »
Ici, la politique écologique devient stratégie économique. Et moyen de communication.
Un avenir ? Entre pavés et diplomatie verte
Les signaux d’espoir ? À Bamako, des start-up transforment les plastiques en pavés écologiques. À raison de cinq tonnes recyclées par mois, c’est une goutte d’eau dans l’océan. Mais elle existe. À Abuja, le programme WACA promet 200 millions de dollars pour des alternatives régionales. Et à Ouagadougou, une timide réflexion transfrontalière commence à émerger.
La pollution plastique est un révélateur. Elle dit tout d’un État absent, d’institutions démunies, mais aussi d’une jeunesse créative et d’un tissu associatif résilient. Elle montre les limites de la souveraineté proclamée lorsqu’elle ne se traduit pas en capacité d’agir, de collecter, de recycler.
En ce 5 juin 2025, les chefs d’État du Mali, du Burkina Faso et du Niger, réunis au sein de la Confédération des États du Sahel, célèbrent une souveraineté retrouvée. Mais le vrai combat, celui contre ce pétrole solidifié qui tue sans bruit, commence à peine.
A.D
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