Romain Garrouste, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)
Cet article est publié en collaboration avec les chercheurs de l’ISYEB (Institut de Systématique, Évolution, MNHN/CNRS/EPHE/Sorbonne Université/Université des Antilles). Ils proposent chaque mois une chronique scientifique de la biodiversité : « En direct des espèces ». Objectif : comprendre l’intérêt de décrire de nouvelles espèces et de cataloguer le vivant.
La destruction massive de millions d’hectares de forêts en Australie nous rappelle qu’au cours de la saison estivale, le même changement climatique engendre sous nos latitudes les mêmes problèmes, notamment en région méditerranéenne.
L’augmentation des températures et les sécheresses, qui surviennent non seulement en été, mais aussi au printemps et à l’automne, s’accompagnent d’événements extrêmes. Tornades, précipitations tropicales, moussons inhabituelles et catastrophiques engendrent des drames humains et des dégâts matériels considérables. L’eau, le feu, et parfois le vent, s’associent par intermittence pour nous rappeler que la nature domine toujours, quel que soit notre niveau d’aménagement ou de technologie.
On dit les écosystèmes méditerranéens adaptés au feux, y compris les forêts tropicales, subtropicales et tempérées d’Australie, qui comptent un grand nombre d’espèces végétales pyrophiles (littéralement « qui aiment le feu »). Certaines en ont même besoin pour se reproduire. Mais lorsqu’une telle surface est concernée par la combustion, la situation ne répond plus à un cycle normal.
On a beaucoup entendu le nombre global d’animaux tués, estimé à un milliard. Mais qu’en est-il des insectes et autres invertébrés, qui sont à la base du fonctionnement des écosystèmes ?
Des impacts directs et indirects
On sait désormais l’importance des insectes dans le fonctionnement des écosystèmes, et combien ils sont négligés dans les études et les objectifs de conservation.
Malgré l’importance du feu pour certaines espèces, on est surpris du peu de travaux sur les conséquences des incendies sur les insectes. Comme le reste de la faune et la flore, les insectes sont brûlés par les flammes, atteints par les chaleurs extrêmes et par les fumées. Le seul avantage que certains possèdent réside dans leur pouvoir de résister au feu jusqu’à une certaine intensité.
Après un incendie rapide, par exemple, les insectes sous les grosses pierres, les fourmilières et les termitières souterraines, ou dans les troncs partiellement brûlés, sont en partie protégés.
Bien sûr, les insectes aquatiques peuvent aussi s’abriter, mais seulement en apparence. Les écosystèmes vivant dans l’eau sont dépendants des écosystèmes terrestres qui les entourent, et subiront des effets indirects, qui vont décupler l’impact des feux : disparition de la nourriture et compétition pour les organismes survivants, diminution de niches et disparition d’habitats.
Regardons le cas d’une larve de libellule qui aurait échappé au cataclysme et pourrait se transformer en adulte. Que pourrait-il alors manger ? c’est le cas de la majorité des survivants, il vont subir les effets indirects. Tous ces effets indirects, auxquels il faut ajouter le fractionnement des habitats et les conséquences génétiques sont à prendre en compte dans les évaluations d’impacts.
Les insectes influent-il sur les incendies ?
C’est une question curieuse au premier abord, mais tout à fait sérieuse pour certaines régions, notamment tempérées, comme dans les forets boréales (Europe et Amérique du Nord).
Que ce soit des défoliateurs (qui s’attaquent aux feuilles et bourgeons), comme le bombyx disparate, des insectes des écorces, comme les terribles scolytes (qui provoquent des réductions de matière inflammable par la chute de feuilles et d’aiguilles pour les conifères), ou qui augmentent la quantité de matière morte (bois des arbres morts), les insectes pourraient avoir un impact sur le régime de feux en diminuant la sévérité des incendies puisqu’il y moins de « carburants » à brûler ; alors que l’on pourrait croire que l’augmentation du bois mort augmente plutôt cette sévérité.
Et les feux peuvent augmenter l’action de certains insectes xylophages (tous ceux qui se nourrissent de bois). Il y a probablement une relation complexe entre changement climatique, impact des insectes forestiers xylophages et sévérité des incendies qui nécessitent des observations plus poussées.
Des pullulations post-incendies
L’été 2003, dans la commune de Sainte-Maxime, dans le Var, une étrange pullulation de punaises brunâtres avait défrayé la chronique. Des habitants s’en étaient plaints alors que des milliers de petites larves se répandaient dans les piscines et les habitations, en provenance d’une forêt et d’un golf à proximité.
J’ai eu la chance d’observer ce phénomène assez impressionnant, proche de ceux qui arrivent actuellement près de champs de colza et autres grandes cultures et surtout d’intervenir auprès de la mairie pour éviter des traitements inutiles. Les punaises inoffensives se sont métamorphosées peu après en adultes et ont quitté les lieux en quelques jours, pour vivre leur vie de punaises ailleurs et cesser d’inquiéter les riverains.
Il s’agissait de la punaise Aphanus rolandrii, se nourrissant de graines dont la production avait été favorisée par la pousse de végétaux, elle-même favorisée par les incendies. Les arbres ayant été détruits, une strate herbacée s’était développée, avec des espèces pyrophiles conduisant à une production de graines hors norme.
Depuis, j’observe régulièrement cette espèce pyrophile après les incendies. L’adulte est tout noir avec une simple tache faune orangée, une couleur sombre propre à de nombreux insectes spécialisés dans les périodes post-incendies, qui leur permet de mieux échapper aux prédateurs.
Les insectes, plus résistants ?
Cela n’assure toutefois pas que l’ensemble des insectes soit tellement plus coriace face aux flammes. Les insectes subissent le double impact des incendies comme les autres organismes animaux, direct et indirect avec une incidence écologique énorme.
Les organismes endogés (qui vivent dans le sol, les grottes), ainsi que certaines espèces qui vivent dans les tiges et les troncs, peuvent pourtant échapper à la destruction immédiate par le feu en étant protégés de l’effet direct des flammes et de la chaleur. D’où peut être le maintient de la plupart des lignées malgré les aléas climatiques du passé et les grandes crises d’extinctions des écosystèmes de notre planète que les insectes ont traversées.
Les grands incendies (on parle de méga-incendies au-delà de 10 000 hectares calcinés d’un seul tenant) constituent donc de terribles catastrophes écologiques (au sens premier du terme : des changements rapides de l’état d’un système écologique). La science et par conséquent les médias en négligent l’impact direct et indirect sur une fraction importante de la biodiversité : les insectes et tous les invertébrés. Et en Australie comme ailleurs il y a des espèces endémiques en danger qui vont devenir encore plus sensibles.
Romain Garrouste, Chercheur à l’Institut de systématique, évolution, biodiversité (UMR 7205 MNHN-CNRS-Sorbonne Univ.-EPHE-Univ. Antilles), Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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