La tension reste vive entre le Mouvement du 5 juin-rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP) et le président de la République Ibrahim Boubacar Kéïta. Au lieu de véritables propositions de sortie de crise, la classe politique malienne se laisse noyée dans des diatribes qui laissent croire qu’elle n’a pas de réels soucis pour la république.
« Les citoyens se soulèvent, tantôt par le désir de l’égalité, lorsqu’ils se voient tous égaux qu’ils se prétendent, sacrifiés à des privilèges ; tantôt par le désir de l’inégalité et de la prédominance politique, lorsqu’en dépit de l’inégalité qu’ils se supposent, ils n’ont pas plus de droits que les autres, ou n’en ont que d’égaux, ou même de moins étendus. » Ce passage de la « Politique » du philosophe antique grec Aristote semble approprié au contexte sociopolitique du Mali d’aujourd’hui.
Des propositions qui divisent
Les neuf (9) propositions du Mouvement du 5 juin Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP) pour la résolution de la crise sociopolitique malienne divisent la classe politique du pays. Certaines trouvent ces propositions « antidémocratiques, antirépublicaines et anticonstitutionnelles ». Selon d’autres, elles ne prouvent que le radicalisme du M5 et sa fermeture à tout dialogue pour une résolution pacifique de la crise sociopolitique que traverse le pays depuis les élections législatives du 29 mars et 19 avril 2020.
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Selon la Convergence des forces républicaines (CFR), une plateforme créée pour la défense des institutions de la république, la série de propositions du M5-RFP est « ni plus ni moins qu’une tentative déguisée de coup d’État et un appel à la violence, au moment où des négociations sont en perspective, grâce aux efforts de la Communauté internationale et aux nombreuses médiations nationales. »
Face à la détermination du M5 à obtenir gain de cause dans ses revendications, l’Action républicaine pour le progrès de l’ex-ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, Tiéman Huber Coulibaly juge cette position de « posture de fermeture » et dénonce « toute action qui s’apparenterait à un pronunciamiento et une mise à bas de la République ».
Beaucoup d’autres partis politiques, de regroupements de partis politiques ou de mouvements partagent les mêmes conceptions ou dirais-je les mêmes diatribes.
Des conceptions partielles
Ces critiques bien que justes sont trop partielles. Car elles ne font aucun effort de compréhension des mobiles ayant conduit le M5-RFP à l’adoption d’une telle position radicale ou de fermeture. Il n’y a pas de fumée sans feu, dit-on. Ces différentes critiques semblent oublier qu’une grande souffrance entraîne des prises de position souvent dures. La crise sécuritaire grandissante, la mauvaise gouvernance avec à la clé la corruption, l’impunité, la crise économique, éducative, la faiblesse des institutions, etc., sont entre autres les maux à la base de la crispation du tissu social malien.
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Seules une analyse désintéressée et la compréhension de ces mécontentements peuvent permettre d’avancer des solutions valables et d’apprécier les propositions faites de part et d’autre. Au lieu de cela, les uns et les autres semblent préférer s’enfermer dans un cercle concentrique : le dialogue. Une situation qui a fini par engendrer un véritable bras de fer politique entre les partisans et les opposants du régime en place.
L’Action républicaine pour le progrès invite au dialogue entre le M5-RFP et le régime Ibrahim Boubacar Kéïta. « Ce dialogue aurait l’avantage de discuter autour de l’ensemble des problèmes posés et de conduire les différentes parties à la sortie de crise par une solution nationale, renforçant la cohésion et la mobilisation de tous pour la tâche de pacification de notre pays et de redressement national ». Elle invite à discuter les offres politiques faites par le président de la République.
On se rappelle, lors de sa rencontre avec les forces vives de la nation au Centre international de conférence de Bamako (CICB), le 16 juin 2020, le chef de l’État (Ibrahim Boubacar Kéita) avait indiqué la formation d’un gouvernement d’union nationale qui respectera les conditions posées par les conclusions du Dialogue national inclusif (DNI), la libération très prochaine de Soumaila Cissé (chef de file de l’opposition porté-disparu depuis le 25 mars 2020) ainsi que la résolution immédiate de la crise scolaire à travers l’application de l’article 39 des enseignants du secteur public.
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Lors d’une Conférence de presse, le vendredi 3 juillet 2020, Adama Togo, président du Réseau des jeunes des partis politiques du Mali (RJPPM), revient avec la même nécessité du dialogue. Il « appelle au dialogue entre les différentes parties pour une sortie définitive de crise. » Il invite également à l’union autour de la mère patrie. Cet appel au dialogue sonne aujourd’hui comme un slogan dans la bouche de tous les partis politiques ou mouvements ne se reconnaissant pas dans les idéaux du M5-RFP.
Rehausser le niveau du débat
Certes, la démocratie recommande le dialogue dans la résolution des crises. Mais ce dialogue ne constitue-t-il pas un processus qui est appelé à évoluer ? À ce stade de la crise, reformuler la demande de dialogue ne serait pourtant qu’un simple pastiche. Car depuis bien avant l’arrivée des émissaires de la CEDEAO au Mali, le 18 juin 2020, ce n’est-il pas ce dialogue entre les différentes parties qu’ont initiés plusieurs acteurs nationaux, notamment les religieux, la société civile ainsi que des partenaires nationaux ? Le M5-RFP n’a-t-il pas été reçu autour de la même table par l’ex-président Moussa Traoré ainsi que d’autres arbitres pour la gestion de cette crise ? Nous savons également que Imam Mahmoud Dicko, la tête de proue du M5-RFP, a été reçu par IBK le 4 juillet 2020. Le lendemain dimanche 5 juillet, une délégation du M5 a été également reçue par le chef de l’État. S’il s’agit de dialogue, nous pensons que beaucoup a été fait dans ce sens. Avons-nous sûrement oublié que le Dialogue national inclusif entrait dans le cadre de la résolution des maux de ce pays.
Toutes les propositions faites par l’une et l’autre partie ne se situent que dans cette volonté de dialoguer. Seulement on semble oublier que dans tout dialogue, il y a des points sur lesquels l’une ou l’autre partie dira non négociable. Qu’on se rappelle, quand IBK s’est dit ouvert au dialogue avec Iyad et Koufa, n’a-t-il pas été indiqué qu’il y a des points, comme l’intégrité du territoire malien ainsi que la laïcité de la République, qui ne seront point négociables. Alors aujourd’hui, le M5-RFP semble adopter la même posture. Les membres de ce mouvement se disent ouverts au dialogue, mais restent intraitables sur des points.
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Dans son mémorandum, rendu public le mercredi 1er juillet 2020 à travers un point de presse, le M5-RFP demande la dissolution immédiate de l’Assemblée nationale ; la mise en place d’un organe législatif de transition ; le renouvellement intégral des membres de la Cour constitutionnelle ; la mise en place d’un gouvernement de Transition ; l’adoption d’une Feuille de route de refondation de l’État et de sauvegarde de la démocratie, de l’unité nationale, de la paix et de la cohésion sociale, assortie d’un chronogramme précis, à l’issue de concertations nationales ouvertes à toutes les forces vives de la Nation ; le respect des textes relatifs au droit et à la liberté syndicale, à la justice sociale et aux engagements entre les parties ; l’adoption d’un pacte pour la stabilité sociale, la sécurité, la croissance et le développement ; l’adoption d’un mécanisme de suivi-évaluation annuel ; le détachement des services exécutifs de l’État de la présidence de la République.
Cette « série de propositions est contraire aux valeurs de la république », selon l’Action républicaine pour le progrès. Pourtant vu l’ampleur de la crise, il est urgent aujourd’hui de mettre en place une transition démocratique avec un Premier ministre de plein pouvoir. Ce gouvernement se chargera des principales réformes à entreprendre pour une résolution rapide des différentes crises que traverse le pays. En quoi une telle proposition est-elle antidémocratique ? Toutefois, après la rencontre du 4 juillet 2020, au cours de laquelle le président IBK a renvoyé la délégation du M5 à la majorité présidentielle, nous osons croire que c’est plutôt le chef de l’État qui montre une attitude de fermeture au dialogue. Ce renvoi vers la majorité présidentielle a ramené le M5 à la case de départ : la démission d’IBK.
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Il est temps qu’on sorte des analyses partisanes pour ne défendre que l’intérêt supérieur de la nation. Le temps n’est plus favorable aux conflits autour du pouvoir. Il faut craindre le Mali. Car le problème réel que traverse ce pays se résume essentiellement à une plus grande corruption de la vieille classe politique. Les vertus essentielles qu’elle doit incarner ne collent plus parfaitement avec elle. À travers un gouvernement de transition, le Mali pourrait trouver un moyen idéal, notamment avec l’organisation d’Assises nationales, pour préparer le changement générationnel tant prôné et résoudre les principaux problèmes du pays. On ne peut plus continuer à gouverner avec et dans le mensonge. Il est temps de rehausser le niveau du débat politique.
Fousseni Togola
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