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Hidjab ou tresses : les dilemmes identitaires des jeunes filles de Bamako

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Traditionnellement, le port du hidjab intégral s’intensifiait pendant le mois de Ramadan, période de grande piété collective. Mais à Bamako, la pratique dépasse le seul calendrier religieux. Le regard est vite attiré par de jeunes filles enveloppées de noir de la tête aux pieds. Certaines portent le hidjab par foi, d’autres par habitude familiale ou par choix personnel, entre modernité, traditions et influences extérieures.

Dans les rues de la capitale malienne, certaines jeunes filles ne laissent apparaître que leurs yeux, d’autres ajustent leur voile, seules ou en groupe, d’un pas pressé vers l’école ou vers les marchés animés. Ici, on parle de hidjab, même si ailleurs on l’appelle niqab. Dans certaines familles, le phénomène est visible tout au long de l’année, bien au-delà du seul mois de Ramadan.

Plus une fille se voile tôt, plus elle grandira dans la piété

Pour comprendre pourquoi certaines jeunes filles choisissent de porter le hidjab, nous avons rencontré Aïssata Traoré, 28 ans, qui explique son expérience personnelle. « Au départ, c’était pendant le Ramadan, pour montrer plus de respect à Dieu », raconte Aïssata. Mais rapidement, elle a gardé la tenue au-delà du mois sacré. Aujourd’hui, elle confie qu’il y a aussi une part de style dans ce choix : « J’aime le design et la légèreté de certains hidjab modernes. Ils ne sont pas trop voyants et ne sont pas lourds à porter, donc c’est plus facile de les garder toute la journée. Mon mari aussi aime me voir couvert pour sortir. »

Pour d’autres, le hidjab cache une partie de leur identité esthétique. Mariam Coulibaly, 16 ans, adore se faire tresser. Mais dès qu’elle enfile son hidjab, ses longues tresses disparaissent sous le tissu. « Franchement, je n’aime pas me voiler quand je suis superbement tressée. Ça gâche la beauté », glisse-t-elle, un peu gênée.Malgré ses réticences, Mariam finit souvent par porter le hidjab pour sortir de chez elle. « Ce n’est pas vraiment mon choix, mais dans la rue, les regards sont insistants si tu ne le mets pas », explique-t-elle. À cela s’ajoute la conviction de son père : « Mon père est persuadé que plus une fille se voile tôt, plus elle grandira dans la piété. Alors, par respect pour lui, je le mets, même si parfois j’aimerais sortir juste avec mes tresses. »

Le poids de la famille

Dans les familles, les avis divergent. Hawa Koné, mère de trois filles, adopte une approche détendue : « Chez moi, je laisse mes enfants choisir. Si elles veulent porter le hidjab, très bien. Si elles ne veulent pas, ça me va aussi. Je leur explique simplement que c’est un signe de respect et de piété, mais que cela ne doit jamais devenir une contrainte. Je veux qu’elles associent le hidjab à un choix personnel, pas à une obligation. »

À l’inverse, dans les familles wahhabites, le port du voile intégral est imposé dès le plus jeune âge. Pour Aminata Diarra, 20 ans, cette rigueur a un poids réel : « Si tu ne portes pas le hidjab, les voisins commencent à dire que tu n’es pas sérieuse. Même pour le mariage, certains hommes demandent d’abord si la fille est voilée ou pas. »

Moussa Sangaré, homme pieux et père, rappelle le sens du voile : « Le hidjab est avant tout un acte d’obéissance à Dieu. Mais il doit être porté avec sincérité, pas par simple mode ou par peur des critiques. » Selon lui, les réseaux sociaux influencent beaucoup la jeunesse : « Certaines jeunes filles le mettent parce qu’elles voient des modèles sur TikTok. Si ce n’est pas accompagné de foi, cela n’a pas de valeur. »

La perception des jeunes hommes

Oumar Diallo, 28 ans, étudiant en économie, explique : « À Bamako, on remarque tout de suite si une fille est voilée ou pas. Pour certains jeunes, c’est une preuve de sérieux et de respect. Mais pour d’autres, ça n’a pas d’importance : ils préfèrent qu’une fille soit libre de choisir. Moi, je pense que ça dépend de la conviction personnelle. Si c’est seulement par pression, ça se voit dans le comportement. »

Pour d’autres hommes, le voile n’est pas toujours un gage de moralité. Ibrahim Traoré, 25 ans, ajoute : « Je me méfie parfois des filles qui se voilent. Sous ce voile, certaines affichent une image pieuse, mais dans la réalité, elles peuvent être dénuées de tout sens moral. Ce n’est pas systématique, mais il faut savoir que le voile ne révèle pas toujours le vrai caractère d’une personne. »

Le commerce du hidjab

Aux Halles de Bamako, les vendeurs de tissus et de voiles nuancent la tendance. Mamadou Sidibé, commerçant depuis dix ans, confie : « Les ventes montent surtout à l’approche du Ramadan. En réalité, beaucoup de jeunes filles portent le hidjab par habitude familiale ou par plaisir personnel, d’autres par respect pour leurs parents. Quelques-unes suivent aussi les tendances venues de l’Occident, où les marques de mode proposent des modèles plus modernes et plus légers. Mais ce n’est pas un marché qui explose, ça reste assez stable. »

Entre la fierté de leurs coiffures et la sobriété du tissu noir, entre liberté personnelle et respect des traditions familiales, les jeunes filles de Bamako avancent voilées ou non selon leurs convictions et leurs habitudes. Le hidjab intégral, autrefois surtout porté pendant le Ramadan, s’impose désormais comme un choix personnel et social, reflet d’une jeunesse qui conjugue foi, modernité et identité dans la capitale malienne.

Cheickna Coulibaly


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