Au Mali, le mois de ramadan ouvre un boulevard à la multiplication des bonnes actions de solidarité. Le don de sucre à l’endroit de la belle-famille, une belle initiative personnelle, issue d’une pratique « coutumière tolérée » par la religion musulmane, est devenu pour certains un objet de frustration. Explication.
A la veille du mois de ramadan, beaucoup de gens s’affairent à mettre les sacs de sucre par tas d’un kilogramme dans leurs familles. Car le mois de ramadan est aussi celui de la solidarité et de la communion. Un mois au cours duquel les beaux-fils et les belles-filles montrent tout leur attachement à la relation « sacrée » qui lie les deux familles. Cela à travers des remises de sucre et mets spéciaux dont l’objectif est le renforcement de ce lien de mariage.
Initiative personnelle devenue obligation
Cette pratique remonte à « l’avènement de l’islam dans nos sociétés traditionnelles » et « n’aurait aucun sens avant que le mariage ne soit scellé », selon Ali Fofana, l’adjoint de l’imam d’une mosquée de la ville de Ségou. Pour Gaoussou Sylla, imam à Koulikoro Centre, c’est une « marque d’estime envers » sa belle-famille et nullement une obligation religieuse. Cependant, la pratique est « tolérée » par la religion musulmane, ajoute Gaoussou Sylla.
Cette action de solidarité a fini par s’ancrer profondément dans les cultures pour devenir ainsi une tradition dans certaines contrées. « Auparavant dans la culture de cette zone, même après la mort de tous les membres de la belle-famille, le beau-fils se devait d’obéir à cette tradition en offrant dix noix de cola à la maison vide, en hommage à ses beaux-parents », explique Gnéléni Kanté, âgée d’une soixantaine d’années et vivant à Banco, dans la région de Dioïla. D’après ses explications, c’est ainsi que Dieu investit la « baraka dans les progénitures du beau-fils ».
Certains villages de la région de Ségou font également de cette pratique une obligation pour le gendre. Dans ces localités, la tradition fixe même une quantité à apporter. Dans la commune rurale de Kamiandougou, localité située à une centaine de kilomètres au nord-est de la ville de Ségou, la remise symbolique du sucre à la belle-famille ne semble plus procéder d’une initiative personnelle. Dans la plupart des villages de cette petite commune, cette pratique souffre beaucoup. Elle est devenue un devoir que le beau-fils se doit d’accomplir au risque de perdre sa crédibilité aux yeux de sa belle-famille.
Dette à rembourser
Chaque année, Karim Mallé, un habitant de ladite localité, offre cinq (5) kilogrammes de sucre à sa belle-famille dès le début du « mois béni » des musulmans. Selon ses explications, la quantité à emmener est fixée de cinq à dix kilogrammes. Et ne pas s’en acquitter peut être source d’interpellation et de conflit. D’où toute la frustration de M. Mallé cette année. « Chaque année, j’apporte cinq kilogrammes de sucre à ma belle-famille. Mais cette année, à cause de quelques jours de retard, on me l’a réclamé dans un ton obligatoire », raconte-t-il.
Selon les coutumes de ce village, explique B. S, un autochtone, « si le mois de ramadan vient trouver que le gendre n’a pas les moyens pour offrir du sucre à sa belle-famille, ce serait une dette à rembourser ultérieurement ». Au fur et à mesure que cette dette dure, des mésententes peuvent s’installer dans le foyer, qui pourraient conduire jusqu’au « divorce », précise notre source.
Geste de haute portée sociale
Cette conception de la pratique du don de sucre dans ces villages de la 4e région administrative, parait à l’antipode des objectifs de l’initiative. Ce geste de solidarité, si l’on s’en tient aux explications de l’imam Kalifa Diarra à Kalaban-Coro (quartier périphérique de Bamako), est un geste de haute portée sociale visant à « sauvegarder les bons sentiments, la paix et surtout la cohésion sociale entre les familles des conjoints ».
En plus de maintenir la paix et l’amour entre les belles-familles, ce don « favorise le raffermissement du tissu social entre les membres des deux familles et surtout la parfaite entente dans le couple », indique M. Diarra.
Dr Bréma Ely Dicko est enseignant-chercheur à la Faculté des sciences humaines et des sciences de l’éducation (FSHSE) de Bamako, département Sociologie-Anthropologie. II explique que ce geste coutumier, « toléré par la religion musulmane, est une marque de considération pour la belle-famille ». Il permet de cimenter la société et, par ricochet, apprend à la jeune génération l’amour du prochain, mais aussi et surtout les valeurs de solidarité et de partage. Des vertus sociales qui fondent les sociétés traditionnelles maliennes.
Selon le sociologue Dicko, cette pratique « fortifie les liens sociaux et est signe de la bonne qualité des relations humaines ». Mais, « il est important que chacun prenne conscience que le don de sucre est une prescription de la culture, mais ne doit pas être une imposition, explique le professeur de sociologie. La femme et ses parents doivent tenir compte de la position financière du mari, mais aussi de sa culture. »
Bakary Fomba
En savoir plus sur Sahel Tribune
Subscribe to get the latest posts sent to your email.