Home A la Une Doha : la paix en trompe-l’œil entre Kinshasa et Kigali ?

Doha : la paix en trompe-l’œil entre Kinshasa et Kigali ?

0 comments 155 views

À Doha, le Qatar s’impose en médiateur entre Kinshasa et Kigali, mais derrière les promesses diplomatiques, la paix dans l’Est congolais reste un mirage.

Officiellement, c’était un sommet « historique ». Un rendez-vous trilatéral inédit entre Félix Tshisekedi, Paul Kagame et l’émir du Qatar. Une rencontre organisée sous les dorures de Doha pour apaiser les tensions dans l’Est de la République démocratique du Congo (RDC). Officieusement, c’était un exercice de style, une énième tentative de dialogue entre deux adversaires que tout oppose, sauf l’impérieuse nécessité de sauver la face.

Derrière le sourire de rigueur et les poignées de main fermes, la méfiance restait palpable. Pour un familier des négociations de Luanda et de Nairobi, on doit savoir que cette rencontre n’est qu’une mise en scène diplomatique bien huilée, mais au fond, personne n’est dupe. Et pour cause : en une décennie, combien d’accords, de cessez-le-feu et de « feuilles de route » ont été signés, avant d’être réduits en cendres par le fracas des armes dans le Kivu ?

Le Qatar, nouveau faiseur de paix ou simple figurant ?

Le choix de Doha comme cadre de discussion intrigue. Que vient faire le Qatar, habitué aux médiations au Darfour et aux tractations entre talibans et Occidentaux, dans un conflit enraciné depuis plus de 25 ans dans les Grands Lacs ? Tout observateur averti de la scène diplomatique dans cette région devra voir derrière cette tentative la volonté pour l’émirat de s’imposer comme un acteur global, capable de peser autant en Afghanistan qu’en Afrique centrale. Doha a l’argent, la neutralité apparente, et surtout l’oreille de Kagamé, qui a su habilement tisser des liens avec le Golfe ces dernières années. 

Cette opération est doublement stratégique. Elle renforce son influence en Afrique tout en offrant à son allié rwandais une tribune pour négocier sans passer par les circuits traditionnels, tenus par l’Occident.

Kagamé sous pression, Tshisekedi en quête de crédibilité

Paul Kagamé, lui, joue une partition plus délicate. Longtemps perçu comme l’homme fort intouchable de l’Afrique de l’Est, il fait face à une pression internationale croissante sur son soutien présumé au M23. Washington, qui fermait autrefois les yeux sur ses manœuvres régionales, a haussé le ton. Même Paris, pourtant longtemps conciliant, a envoyé des signaux d’agacement.

Le Rwanda est à un tournant. S’il continue de jouer avec le feu dans l’Est du Congo, il risque de s’isoler diplomatiquement, mais s’il lâche le M23, il perd un levier stratégique. Kagame, fidèle à sa méthode, tente donc de manœuvrer sans rien céder, tout en maintenant une posture de chef d’État rationnel, soucieux de stabilité régionale.

De son côté, Félix Tshisekedi sait que le temps joue contre lui. Réélu après un scrutin contesté, il doit prouver qu’il peut sécuriser l’Est du pays, là où Kabila avant lui a échoué. Son pari : montrer que la diplomatie peut encore l’emporter sur les armes. Mais dans les couloirs feutrés de la présidence congolaise, l’incertitude domine. L’on estime que ce n’est pas la première fois que Kigali promet un cessez-le-feu, et chaque fois, ils reviennent par une autre porte.

Un cessez-le-feu, et après ?

À Doha, les trois dirigeants ont réaffirmé leur attachement aux processus de Luanda et de Nairobi, désormais fusionnés, et promis un cessez-le-feu « immédiat et inconditionnel ». En théorie, cela signifie la fin des hostilités. En pratique, personne ne mise sur une désescalade rapide.

Sur le terrain, les rebelles du M23 continuent d’occuper des positions stratégiques, tandis que l’armée congolaise, épaulée par des troupes burundaises, se prépare à une reprise des combats. Les chefs d’État peuvent donc bien signer tous les accords du monde, mais sans rapport de forces crédible, ça ne changera rien.

Alors, Doha a-t-il accouché d’une vraie dynamique de paix, ou simplement d’un sursis diplomatique ? La question reste ouverte. Le Qatar a démontré son influence croissante, Kagamé a joué la montre, Tshisekedi a obtenu un répit politique. Mais au-delà des salons climatisés de l’émirat, la vraie réponse viendra des collines du Kivu, où la guerre, elle, n’a pas attendu les accords de Doha pour poursuivre sa route.

A.D


En savoir plus sur Sahel Tribune

Subscribe to get the latest posts sent to your email.

Un petit commentaire nous motivera davantage

A propos

Sahel Tribune est un site indépendant d’informations, d’analyses et d’enquêtes sur les actualités brûlantes du Sahel. Il a été initialement créé en 2020, au Mali, sous le nom Phileingora…

derniers articles

Newsletter

© 2023 Sahel Tribune. Tous droits réservés. Design by Sanawa Corporate

En savoir plus sur Sahel Tribune

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture