Par une chaleur insoutenable, dans un silence quasi-global, les zones arides du continent tirent leur sonnette d’alarme. Et personne, ou presque, ne l’entend.
« Allah n’est pas obligé, n’a pas besoin d’être juste dans toutes ses choses, dans toutes ses créations, dans tous ses actes ici-bas », écrivait Amadou Kourouma dans une phrase à la fois terrible et lucide, comme un écho prophétique aux tragédies muettes du présent. Kayes, 3 avril 2024. Le thermomètre crève le plafond à 48,5 °C. Une chaleur brute, inhumaine, implacable. En quatre jours, cent Maliens tombent, non pas sous les balles ou les bombes, mais sous le poids d’un ciel devenu brasier. Le soleil n’a pas d’ennemi, pas de visage, pas de parti. Juste une justice à lui, aussi impénétrable qu’indifférente.
L’épicentre de la détresse climatique mondiale
Dans cette ville jadis fière de ses rails, le métal se tord, les certitudes aussi. Ce n’est pas un désastre soudain, mais une agonie diffuse, une apocalypse lente — celle d’un climat qui frappe sans haine, mais avec une efficacité chirurgicale. Face à cette injustice climatique, où mourir de chaleur devient banal, la phrase de Kourouma résonne cruellement juste : l’équilibre du monde ne nous est pas dû. Mais il n’en reste pas moins que les humains en ont, à bien des égards, compromis l’harmonie. Car derrière la chaleur de Kayes, ce n’est pas simplement la fatalité climatique qui se joue, mais bien le prix accumulé de décennies d’inaction, d’aveuglement et d’avidité.
Alors que le Sahara grignote les terres, que la faim ravage les villages du Sahel et que les canicules tuent désormais à Kayes, le continent africain est pris dans un compte à rebours climatique. Et pendant que les alertes s’enchaînent, les réponses — financières, politiques, géopolitiques — restent aussi évanescentes qu’un mirage de saison sèche.
Sahara, Sahel, Corne de l’Afrique : un triangle infernal qui constitue aujourd’hui l’épicentre de la détresse climatique mondiale. Une ligne de front où la température grimpe, les pluies s’évaporent, et les espoirs, trop souvent, se fanent avec les récoltes.
Trois visages d’un désastre silencieux
Le Sahara, d’abord : 8,5 millions de kilomètres carrés de fournaise, avec des pointes à 50 °C dans le désormais tristement célèbre « triangle de feu » algérien. Puis vient le Sahel, ce trait d’union entre désert et savane, où le réchauffement est 1,5 fois plus rapide que la moyenne planétaire. Là, entre Mopti et Tahoua, les pluies tombent — parfois — pendant trois mois, mais laissent sècheresse, migration et conflits sur leur passage. Et enfin la Corne, ce couloir maudit où la sècheresse de 2020-2023 a laissé plus de 43 000 morts en Somalie, 23 millions d’affamés, et des troupeaux décimés comme jamais.
Mais les chiffres, aussi vertigineux soient-ils, ne disent pas tout. Ce sont les canicules de février, les sècheresses en spirale, la progression du Sahara vers le sud — 400 millions de personnes menacées — et la disparition quasi-totale du lac Tchad qui forcent le constat : quelque chose d’irréversible est en marche.
Et la communauté internationale ? Présente, mais en retard
Les Nations unies, les grandes conférences, les COP, les fonds climatiques… Tout y est. Sauf peut-être l’essentiel : l’urgence. Entre 2021 et 2022, les flux financiers destinés à l’Afrique n’ont couvert que 23 % des besoins climatiques estimés du continent. Sur les 200 milliards nécessaires d’ici 2030, à peine 44 sont déboursés. Et quand les sommes sont là, les retards, les lourdeurs administratives et les critères opaques viennent freiner la moindre avancée.
Le Fonds « Perte et dommage » ? Annoncé, salué, applaudi… mais à zéro dollar décaissé à ce jour. La Grande Muraille verte ? Ambitieuse, elle peine à dépasser les 30 % d’avancement, malgré des promesses de 19 milliards de dollars. Même l’adaptation, ce maillon clé pour survivre, est majoritairement financée par des prêts, accroissant la dette de pays déjà fragilisés.
Résistance locale, inventivité africaine
Et pourtant, le continent résiste. Résiland Sahel, le programme alimentaire du PAM, les registres de protection sociale adaptative, les bonds innovants comme le Lemur Bond à Madagascar… Autant de preuves que l’Afrique ne se contente plus de subir, mais innove, préviens, reconstruit. Non sans douleur, mais avec dignité.
Dans le sud de la Mauritanie, plus de 300 000 hectares ont déjà été restaurés. À Niamey, à Ouagadougou ou à Bamako, des stratégies nationales émergent, portées par des jeunes, des femmes, des collectifs qui refusent de se résigner. L’observatoire de la Grande Muraille verte, lancé en 2024, tente de mettre un peu d’ordre dans la jungle des portefeuilles climatiques. Mais sans sursaut global, la course est perdue d’avance.
Car ce n’est plus une simple crise. C’est une guerre. Une guerre contre la montre, contre la torpeur des bailleurs, contre les mécanismes de financement obsolètes. Une guerre où les soldats sont des éleveurs touaregs sans pâturage, des mères somaliennes sans lait à offrir, des enfants sahéliens sans arbres pour jouer à l’ombre.
Et pendant ce temps, le monde regarde ailleurs. L’Ukraine, Gaza, Taïwan… L’Afrique, elle, brûle en silence.
Ce que le continent réclame : du concret
Alors que faire ? Quatre lignes suffiraient : qu’on quadruple les flux financiers avant 2030. Qu’on simplifie, enfin, l’accès aux fonds. Qu’on canalise l’aide via les systèmes sociaux existants. Et qu’on investisse massivement dans la donnée, la vraie, celle du terrain.
Car pour l’Afrique aride, l’heure n’est plus aux discours. Chaque mois perdu, chaque dollar non versé, chaque hectare non replanté est une promesse de famine, d’exode, de conflit. Et au bout de cette chaîne, il y a le monde entier, car comme le dit un proverbe peul : « Quand la case du voisin brûle, mieux vaut ne pas s’endormir. »
Alors, si Allah n’est pas tenu à la justice, nous, humains, le sommes. Nous avons une responsabilité morale et politique de rééquilibrer ce qui peut l’être encore : par les politiques climatiques, par la solidarité financière, par la restauration des terres dévastées. À défaut de changer les lois de la physique, il nous reste celle, impérieuse, de la conscience.
Chiencoro Diarra
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