Deux incendies en moins de six semaines ont ravagé des milliers de balles de coton au Mali, à Bamako puis à Koutiala. Si les pertes sont matérielles, les enjeux, eux, sont bien plus profonds : sécurité industrielle, souveraineté économique, stabilité sociale. Ces sinistres disent tout d’un modèle productif fragile, exposé à l’imprévu et au déni d’anticipation. Car derrière les flammes, c’est un avertissement au monde entier. Nos économies les plus vitales reposent encore trop souvent sur des structures trop vulnérables.
Deux incendies. Deux villes. Deux dates. Une même entreprise. Et une question, à peine posée mais déjà pressante. Le Mali peut-il encore se permettre de perdre du coton ?
Dans la nuit du 8 au 9 mars 2025, un feu a consumé plus de mille balles de coton à l’usine de la Compagnie malienne pour le développement des textiles (CMDT) à Bamako. Une perte sèche, estimée à 250 millions de francs CFA, mais contenue grâce à une réaction rapide des équipes de sécurité. Moins d’un mois plus tard, le 14 avril, un autre incendie frappe, cette fois à Koutiala — symbole national de la production cotonnière, qu’on surnomme encore la « capitale de l’or blanc ». Là aussi, les flammes dévorent des tonnes de matière première. Là aussi, les pertes sont « extrêmement lourdes ».
Pour l’observateur pressé, ce sont deux faits divers. Pour qui regarde au-delà des cendres, c’est un signal faible annonçant un déséquilibre majeur.
Le coton comme révélateur des fragilités
On oublie souvent que le coton est, pour le Mali, plus qu’une matière première. Il est mémoire, identité et pilier économique. Il nourrit l’agriculture familiale, finance des milliers de scolarités, structure les exportations. En brûlant, il rappelle à quel point les économies dites “primaires” reposent sur une stabilité logistique, énergétique et climatique de plus en plus incertaine.
Le fait que ces incendies aient eu lieu dans des installations pourtant bien équipées interroge : est-ce un défaut technique ? Un relâchement humain ? Un effet collatéral du réchauffement climatique ? Ou pire, un symptôme d’une insécurité rampante ? Les réponses importent. Mais plus encore, il faut entendre ce que disent ces événements du rapport que nous entretenons à nos filières stratégiques.
Ces incidents doivent être lus pour ce qu’ils sont. Des menaces silencieuses sur la souveraineté économique.Dans un contexte mondial de tension sur les chaînes d’approvisionnement, chaque rupture de stock, chaque feu mal contenu, devient une faiblesse dans l’architecture d’un pays dépendant de ses matières premières.
La CMDT est une actrice stratégique. Si elle flanche, c’est toute une chaîne — du producteur au transporteur, du commerçant au consommateur — qui se grippe. Les assurances ne couvriront pas les pertes sociales, ni les espoirs consumés des petits producteurs, ni la confiance érodée des investisseurs étrangers.
De la flamme locale au brasier mondial
Dans un pays comme le Mali, en pleine redéfinition de ses alliances politiques et économiques, la maîtrise des infrastructures productives est une urgence absolue. Cela passe par un audit complet de toutes les zones de stockage, par des formations renforcées à la gestion des risques, et surtout par une gouvernance de crise apte à anticiper l’imprévisible.
Mais plus largement, c’est toute la stratégie de sécurisation des filières nationales qu’il faut repenser. Ne plus penser le coton comme une simple culture. Mais comme un bien stratégique, à l’instar du pétrole ou du gaz ailleurs.
Car si ce qui se joue à Bamako ou Koutiala reste apparemment local, ce sont bien des équilibres globaux qui s’y reflètent : vulnérabilité des chaînes de valeur, dépendance aux énergies, exposition climatique, pression démographique.
Les incendies du coton sont peut-être accidentels. Mais leur répétition dit autre chose. Nous entrons dans une ère où chaque négligence peut devenir un désastre. Et où la moindre étincelle peut mettre le feu à un modèle.
Chiencoro Diarra
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