Au Mali, la décision du Conseil national de Transition d’adopter en session ordinaire l’abrogation de la Charte des partis politiques fait trembler les défenseurs du pluralisme. Entre nécessité de mettre fin à un multipartisme devenu stérile et volonté d’instaurer une gouvernance plus efficace et susceptible de répondre avec plus de promptitude les besoins des citoyens, le pays s’engage sur la voie d’une réforme majeure. Une refondation qui ouvrira la voie à une démocratie rénovée.
En adoptant l’abrogation, à une majorité soviétique de 130 voix contre 2, la Charte des partis politiques de 2005 et le statut de l’opposition de 2015, le Conseil National de Transition (CNT) du Mali vient de signer l’acte de décès d’un multipartisme qualifié par les autorités de façade et de rente. La mesure pourrait choquer, indigner les chantres des dogmes démocratiques classiques, mais elle s’inscrit dans une logique plus large, partagée depuis longtemps par plusieurs penseurs critiques du modèle représentatif hérité des indépendances africaines.
La façade démocratique
Que les puristes crient au viol de la démocratie n’étonnera personne. Car, en théorie, le multipartisme est sacré. Il incarne cette belle idée selon laquelle la pluralité des partis offre au citoyen un choix éclairé, assure l’alternance, stimule la critique et protège les libertés publiques. C’est le crédo de toutes les constitutions modernes depuis la fin des régimes à parti unique, celui de l’Afrique des conférences nationales du début des années 90. Sauf que, dans la réalité malienne, cette pluralité s’est transformée en foire d’empoigne, avec plus de 200 partis dont la plupart sont sans ancrage, sans projet, sans militants, mais souvent dotés de financements publics.
Le Mali, naguère présenté comme l’un des pionniers du pluralisme en Afrique de l’Ouest depuis la révolution démocratique de 1991, croulait dès lors le poids d’une prolifération incontrôlée de partis, souvent sans autre projet que de quémander subventions et strapontins. La scène politique malienne était devenue ce que Castoriadis dénonçait dans La montée de l’insignifiance : une façade démocratique où les partis existent, non pour représenter les citoyens, mais pour préserver des clientélismes, verrouiller les institutions, et entretenir une illusion de pluralisme.
En abrogeant ces textes, les autorités maliennes de la transition, dirigées par le général Assimi Goïta ouvrent une nouvelle page. Fini les partis d’apparat, place à une refondation politique « assainie », où les forces appelées à émerger devront incarner de véritables projets de société. Derrière cet engagement républicain, certains verront certes une stratégie de verrouillage du pouvoir, pourtant il s’agit bien d’une purge salutaire face à l’impasse d’un multipartisme qui, depuis des décennies, servait plus les ambitions personnelles que l’intérêt général.
La critique du multipartisme comme facteur d’instabilité
Il faut dire que le diagnostic n’est pas propre au Mali. La critique du multipartisme comme facteur d’instabilité n’a jamais cessé d’habiter les réflexions des plus grands penseurs. En Europe, Hannah Arendt dénonçait déjà en 1951, dans Les Origines du totalitarisme, la cacophonie des régimes multipartites continentaux, louant au contraire la stabilité offerte par les systèmes bipartisans comme celui des États-Unis ou du Royaume-Uni. Selon elle, la guerre des clans partisans prépare toujours le terrain à des ruptures autoritaires, lorsqu’un « homme providentiel » vient se poser en sauveur face au désordre des élites, comme l’on l’a vu en 20 213 avec l’élection d’Ibrahim Boubacar Kéïta au Mali.
Plus près de nous, Isidore Mfuamba Mulumba et Kalala Ilunga Matthiesen, dans leur étude sur la République démocratique du Congo, n’hésitent pas à qualifier le multipartisme congolais d’« anarchique », alimentant conflits ethniques, manipulations identitaires et délitement de l’État. En Côte d’Ivoire, après l’euphorie du retour au multipartisme en 1990, le pays a sombré dans les divisions, la rébellion, les crises post-électorales sanglantes. Là aussi, l’illusion démocratique a volé en éclats sous les coups de boutoir des ambitions démesurées et des manipulations politiciennes.
Le Mali est-il à l’abri de ce scénario ? Rien n’est moins sûr. Car depuis des décennies, on assiste à la prolifération de partis inutiles. Aujourd’hui, le discours officiel justifie la suspension des partis par la nécessité de « sauver la nation » des forces centrifuges qui minent son unité.
Le chemin est étroit, mais il est encore ouvert
Dans ce contexte, il est légitime de s’interroger : qui définira demain les règles du jeu ? Quel cadre juridique garantira que les futures forces politiques ne soient pas des forces déstabilisatrices ? Quelle place sera faite à la critique, au débat contradictoire, à l’alternance véritable ? Autant de questions qui restent, à ce jour, sans réponse.
En réalité, le Mali se trouve sur la voie d’une réforme salutaire. Cette refondation devient une vraie opportunité de repenser un système politique délégitimé, d’assainir le jeu démocratique pour le rendre plus responsable, plus proche des attentes populaires.
Le pari est risqué, mais il est aussi historique. Le peuple malien, qui a trop souvent été pris en otage par une classe politique plus prompte à se partager les miettes qu’à porter une vision nationale, mérite mieux qu’un simple replâtrage institutionnel. Il mérite une démocratie refondée sur des bases solides : la responsabilité, la clarté des projets, l’exigence d’un vrai contrat social.
Face à une anarchie multipartite, le Mali tente d’inventer sa propre voie. Une démocratie de reconstruction, exigeante, patiente, mais véritable. Le chemin est étroit, mais il est encore ouvert.
Chiencoro Diarra
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