À la croisée des tensions politiques et des recompositions régionales, le Tchad esquisse une nouvelle trajectoire stratégique : celle d’une adhésion annoncée à l’Alliance des États du Sahel (AES), qui pourrait bouleverser l’équilibre géopolitique de l’Afrique de l’Ouest et du Centre, et redéfinir les rapports de souveraineté sur le continent.
À bien y regarder, ce qui se joue aujourd’hui à N’Djamena dépasse de loin les frontières d’un pays meurtri par des décennies de crises. Ce qui se trame là est peut-être l’un des laboratoires les plus fascinants d’une Afrique cherchant, dans la douleur, à réinventer son destin au XXIᵉ siècle.
Parler d’égal à égal avec le reste du monde
Car, qu’on s’en réjouisse ou qu’on s’en inquiète, la déclaration du ministre de la Communication du Tchad en faveur d’une adhésion à l’Alliance des États du Sahel (AES) ne relève pas d’un simple effet d’annonce. Derrière les mots de Gassim Cherif Mahamat, il y a une vision, encore confuse sans doute, mais puissamment évocatrice : celle d’un continent qui tente de se libérer des tutelles héritées, de reconstruire ses alliances, et d’inventer ses propres chemins de souveraineté.
Le Tchad, fidèle à son histoire tourmentée, est à nouveau à la croisée des chemins. D’un côté, un régime sorti à peine d’une transition contestée, avec à sa tête Mahamat Idriss Déby Itno, héritier d’une dynastie militaire. D’un autre, une jeunesse urbaine et connectée, avide de justice, réprimée mais debout, incarnée hier par Succès Masra, aujourd’hui par des milliers d’anonymes.
Et pourtant, malgré ce climat de tension politique et sociale, une dynamique plus grande semble à l’œuvre. En rompant avec la France sur le terrain militaire, en s’interrogeant sur le franc CFA, en multipliant les gestes vers le Mali, le Burkina Faso et le Niger, le Tchad exprime une intuition géopolitique majeure : celle de rejoindre une Afrique qui ne se satisfait plus des discours sur le développement, mais qui veut parler d’égal à égal avec le reste du monde, à ses propres conditions.
La souveraineté ne se décrète pas
L’AES, malgré ses imperfections, ses fragilités et ses contradictions, représente à ce jour la seule tentative réelle de mutualisation des souverainetés africaines face aux grands enjeux économiques, sécuritaires et monétaires. Que le Togo et le Tchad y songent n’est pas une surprise. C’est une nécessité stratégique pour tous les pays enclavés ou marginalisés par les logiques ouest-africaines dominées par Lagos et Abidjan.
Il y a là une opportunité, mais aussi un piège. Car s’il s’agit de reconstruire de nouvelles dépendances, sous de nouveaux habits, le projet est voué à l’échec. S’il s’agit en revanche de bâtir une alliance démocratique, solidaire, orientée vers l’innovation, la formation et la souveraineté économique, alors l’AES peut devenir bien plus qu’un simple regroupement militaire.
Le Tchad, paradoxalement, pourrait en être l’un des catalyseurs. Mais encore faut-il que son régime comprenne que la souveraineté ne se décrète pas par des slogans. Elle se construit par la confiance, l’État de droit, l’inclusion politique, la liberté d’expression. Le reste, la géopolitique, les alliances, les discours souverainistes, suivront. Ou s’effondreront, comme tant d’autres illusions africaines, si les peuples ne sont pas au cœur du projet.
Il n’est pas interdit d’espérer. Mais il est urgent de regarder la réalité en face. Le moment tchadien n’est pas une fin en soi. C’est peut-être, enfin, le début d’autre chose.
A.D
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