À Bamako comme à Gao ou Mopti, les aéroports du Mali s’érigent peu à peu en digues face aux vagues de cocaïne qui inondent l’Afrique de l’Ouest. Appuyée par ses partenaires internationaux, la cellule antidrogue malienne s’organise – entre saisies record, innovations technologiques et failles persistantes.
Bamako-Sénou. 12 juillet 2025. Une chaleur lourde pèse sur les pistes. Dans un coin discret du terminal, la tension monte : des valises suspectes, un chien qui marque, des douaniers qui s’activent. Résultat : 4,2 kg de cocaïne pure extraits de doubles fonds. Le passager venait de São Paulo, via Casablanca.
Une saisie presque routinière désormais, tant le Mali s’est imposé comme un point de passage stratégique dans la géographie mouvante du narcotrafic ouest-africain. Longtemps vu comme simple zone de transit terrestre entre les ports du Golfe de Guinée et les routes sahariennes, le pays joue aujourd’hui un rôle central dans le trafic par voie aérienne, via ses aéroports.
Des hubs sous haute surveillance
Pour faire face à cette menace, le gouvernement malien, avec la vision éclairé du PDG des aéroports du Mali, le Colonel Lassana Togola, a renforcé depuis plusieurs années sa stratégie aéroportuaire antidrogue. À la manœuvre : l’Office central des stupéfiants (OCS), dont l’antenne installée à Bamako-Sénou, la Cellule aéroportuaire anti-trafics (CAAT), est désormais interconnectée aux systèmes de renseignement d’INTERPOL et à la base CENcomm de l’OMD. Bamako fait aussi partie du programme AIRCOP de l’ONU, qui relie 41 aéroports africains.
Ce dispositif a permis des résultats notables : près de 3 tonnes de drogue saisies entre 2024 et 2025, dont un record de 2 418 kg de cocaïne découverts dans une cargaison aérienne fin 2024. À cela s’ajoutent plusieurs opérations plus modestes mais révélatrices, comme l’interception de 12 kg dissimulés dans des valises à double fond en juillet 2025.
Cette dynamique est appuyée par une collaboration active avec le personnel aéroportuaire, à l’origine de 17 % des saisies effectuées au cours de l’année, grâce à des signalements internes. Pour renforcer le maillage du territoire, six aéroports nationaux sont désormais dotés d’antennes de l’Office Central des Stupéfiants (OCS), tandis qu’un chenil cynotechnique a été mis en service en partenariat avec l’Allemagne, apportant une capacité opérationnelle supplémentaire dans la détection des substances prohibées.
Technologie, flair et coopération
Pour détecter ces cargaisons, le Mali mise sur une combinaison d’outils classiques et innovants. Des chiens dressés par la police fédérale allemande, des scanners RX de dernière génération financés par l’Union européenne, et même un algorithme d’intelligence artificielle, testé depuis avril 2025, capable de repérer des densités suspectes dans les bagages.
Ce système est appuyé par un réseau national d’antennes OCS déployées dans les aéroports secondaires (Mopti, Gao, Kayes), encore loin de disposer des mêmes moyens que la capitale mais intégrés à l’architecture générale. Mopti, par exemple, ne dispose pour le moment que d’un scanner mobile partagé.
Une guerre sous pression
Car les vulnérabilités sont encore nombreuses. Pressions logistiques, manque de personnel, corruption à bas niveau, attaques sécuritaires : les aéroports du Nord, situés dans des zones instables, restent les maillons faibles de la chaîne. En 2024, des incursions djihadistes à proximité de la base aérienne de Bamako ont même provoqué la suspension temporaire de plusieurs vols.
Et le crime, lui, s’adapte. Valises piégées, fret maquillé, mules ingestées : les trafiquants professionnalisent leurs méthodes, parfois à un rythme plus rapide que celui des contrôles. Selon plusieurs sources, des réseaux liés à des groupes armés opérant dans le centre et le nord du pays utiliseraient les recettes du trafic pour financer leurs opérations.
Une dimension géopolitique
Derrière les saisies spectaculaires, c’est aussi une guerre géopolitique qui se joue, entre États africains, agences internationales et cartels transcontinentaux. Bamako entend faire des aéroports maliens des zones franches de confiance, alors que la région se débat avec une instabilité chronique. La prochaine phase prévoit l’intégration de Gao et Tombouctou dans AIRCOP, l’élargissement de la loi sur les données passagers (PNR) à toutes les compagnies, et l’usage de la blockchain pour sécuriser les chaînes de preuve.
L’objectif affiché : transformer chaque aérogare en sentinelle digitale et opérationnelle contre le trafic international, dans un pays où la frontière entre économie parallèle, sécurité et souveraineté est plus floue que jamais.
En juin 2025, les autorités maliennes ont procédé à l’incinération de 128 tonnes de drogues diverses, saisies au cours de 2024, à Bamako. Toute chose qui illustre l’ampleur des efforts engagés dans la lutte contre le trafic illicite.
Chiencoro Diarra