Alors que le changement climatique multiplie les sécheresses et inondations extrêmes, le Rapport mondial sur les crises alimentaires 2024 alerte sur un facteur de famine encore sous-estimé : la météo. En 2024, plus de 96 millions de personnes dans 18 pays ont basculé dans l’insécurité alimentaire aiguë à cause de phénomènes climatiques extrêmes, notamment liés à El Niño. De l’Afrique australe à la Corne de l’Afrique, en passant par l’Asie du Sud, les petits agriculteurs paient le prix fort d’un réchauffement mondial auquel ils n’ont presque pas contribué. Le climat, désormais, tue aussi par la faim.
La terre craque, les pluies se déchaînent, les champs deviennent poussière ou marécages. Pendant que l’humanité débat de géopolitique et de croissance, le climat, lui, tranche sans négociation. En 2024, selon le dernier Rapport mondial sur les crises alimentaires (GRFC), les phénomènes météorologiques extrêmes – sécheresses, inondations, pluies diluviennes – ont plongé plus de 96 millions de personnes dans des situations de faim aiguë, dans 18 pays en crise.
C’est la face oubliée de la déstabilisation climatique : pas celle des COP et des grandes promesses, mais celle des villages assoiffés, des bergers ruinés, des femmes qui plantent sans récolter.
Le climat, un déclencheur aussi cruel que silencieux
« Les conditions météorologiques extrêmes, en particulier les sécheresses et les inondations provoquées par El Niño, ont été un facteur majeur des crises alimentaires en 2024 », alerte le GRFC. Cette année, l’Afrique australe, la Corne de l’Afrique, l’Asie du Sud ou encore l’Amérique centrale ont subi des chocs violents, bouleversant les cycles agricoles, détruisant les récoltes et perturbant l’élevage.
La spécificité de ce facteur est double. D’une part, il est de plus en plus fréquent, avec des épisodes plus intenses et moins prévisibles. D’autre part, il affecte les plus pauvres, ceux qui vivent de la terre, de l’eau ou du bétail. Et surtout, il s’ajoute à d’autres crises – conflits, instabilité, pauvreté – sans laisser le moindre répit.
En Afrique australe, la situation est critique. En Zambie, Zimbabwe, Malawi et dans certaines zones du Mozambique, la sécheresse provoquée par El Niño a décimé les cultures de maïs, denrée de base pour des millions de foyers. Selon le rapport, « ces conditions météorologiques extrêmes ont gravement compromis la sécurité alimentaire de millions de personnes, déjà fragilisées par des années de précarité ».
Résultat : des taux de malnutrition infantile en hausse, des prix alimentaires qui flambent sur les marchés, et des tensions accrues entre communautés rurales. Quand l’eau ne vient plus, c’est la solidarité qui s’évapore.
La face immergée des inondations
Ailleurs, ce sont les inondations qui tuent en silence. En Somalie, au Pakistan, au Soudan du Sud ou au Bangladesh, les terres agricoles sont submergées, les stocks détruits, les routes coupées. Le GRFC souligne que ces phénomènes, souvent soudains, « exposent les communautés à des pénuries alimentaires brutales, à la perte de moyens de subsistance et à des déplacements massifs ».
Le paradoxe est cruel : trop d’eau tue, tout comme l’absence d’eau. Dans les deux cas, le système alimentaire s’effondre.
Ce sont les petits exploitants agricoles, qui produisent 80 % des denrées dans de nombreux pays en crise, qui subissent de plein fouet ces bouleversements climatiques. Sans irrigation, sans accès à la météo fiable, sans réserve de semences, chaque saison devient un pari sur la survie.
Et quand l’agriculture tombe, c’est toute une économie rurale qui s’écroule : emploi saisonnier, marchés locaux, transport vivrier. La faim s’infiltre partout.
Sous-financement climatique : le talon d’Achille
Pire encore, les réponses manquent. Le rapport déplore que malgré l’ampleur des dégâts, les financements destinés à l’adaptation au changement climatique restent dérisoires. Les projets de résilience locale sont peu soutenus, les mécanismes d’alerte précoce insuffisamment financés, et les filets sociaux rarement anticipés.
Cindy McCain, directrice exécutive du PAM, est sans détour : « Nous avons des solutions éprouvées pour lutter contre la faim, mais nous manquons du soutien nécessaire pour les mettre en œuvre. »
Face à cette spirale, le rapport plaide pour une action plus ciblée : renforcer les capacités d’adaptation climatique des petits producteurs, investir dans l’irrigation locale, les semences résistantes, les infrastructures rurales, les systèmes d’alerte météo, et surtout dans l’éducation climatique communautaire.
Comme le rappelle Qu Dongyu, directeur général de la FAO : « Investir dans l’agriculture d’urgence, c’est investir dans une solution à long terme. »
La météo n’est pas coupable, l’inaction l’est
L’enjeu n’est pas simplement de constater les ravages du climat, mais d’y répondre avant qu’ils ne deviennent irréversibles. Le climat devient aujourd’hui l’un des premiers déclencheurs de la faim, au même titre que la guerre ou la misère. Il agit lentement, mais frappe sûrement.
Si rien n’est fait, les saisons agricoles deviendront des saisons de deuil, les enfants des statistiques de mortalité, et les terres fertiles des cimetières d’espoirs.
La planète est en surchauffe, les terres en souffrance, et les peuples en attente. L’équation est connue, les solutions existent. Ce qui manque ? Une volonté. Car face à la faim provoquée par le climat, chaque orage est un message. Et chaque sécheresse, un avertissement. À force de les ignorer, le monde pourrait finir par récolter ce qu’il sème : le vide.
F. Togola