Quand le Mali et le Niger, au sein de l’Alliance des États du Sahel (AES), redessinent leur passé à travers des projets historiques ambitieux, c’est toute une région qui cherche à écrire une nouvelle page de souveraineté collective.
Ah, l’Histoire ! Ce terrain fertile où les nations forgent leurs identités, où le passé est revisité pour éclairer — ou parfois embellir — l’avenir. Aujourd’hui, le Niger et le Mali se lancent dans deux grandes entreprises de mémoire : l’un avec son projet d’Histoire générale, l’autre avec son ambitieuse Histoire militaire. Mais ces initiatives, si singulières en apparence, s’inscrivent dans une dynamique bien plus vaste, celle de la Confédération des États du Sahel (AES), créée en juillet 2024, aux côtés du Burkina Faso.
Consolider leur image auprès de leur population
Sous la houlette du général Tiani, le Niger veut retracer son histoire « de la préhistoire à nos jours ». Cette démarche, portée par un comité d’universitaires, a pour ambition de fournir aux Nigériens un récit national global. Une idée louable, mais aussi un exercice délicat, surtout lorsque l’on aborde des périodes comme la colonisation ou les mouvements sociaux. Mamoudou Djibo, rapporteur général du projet, insiste : « Nous ne voulons rien effacer. Il ne s’agit pas de réviser l’histoire, mais de faire un travail scientifique. » Voilà une promesse qui mérite d’être tenue, car l’Histoire, même dans sa rigueur académique, n’est jamais neutre. Elle reflète inévitablement les priorités et les aspirations de l’époque qui l’écrit.
Pendant ce temps, au Mali, c’est l’Histoire militaire qui occupe le devant de la scène. Dans le cadre de la refondation de son système de défense, sous la vision du général d’armée Assimi Goïta, l’armée malienne entend raconter son passé glorieux, des empires médiévaux aux défis contemporains. Là encore, le projet s’annonce ambitieux : mobiliser des historiens civils et militaires, fouiller les archives locales et internationales, et aborder des thèmes aussi vastes que la diversité sociale ou l’intégration des genres dans les forces armées. Mais avouons-le, dans un contexte où l’armée joue un rôle politique de premier plan, cette entreprise n’est-elle pas aussi une manière de consolider son image auprès de la population ?
L’Histoire, un enjeu stratégique
Et c’est ici que ces deux projets trouvent un point de convergence : ils ne sont pas seulement des initiatives nationales. Ils s’inscrivent dans une dynamique régionale, celle de l’Alliance des États du Sahel (AES), créée en septembre 2023. Depuis la création de cette confédération, les trois pays — Mali, Niger, Burkina Faso — avancent de concert, partageant ambitions, défis sécuritaires et, désormais, une quête de réappropriation historique. Il n’est pas anodin que deux membres de l’AES se lancent simultanément dans des projets de cette envergure. Cela témoigne d’une volonté commune de renforcer leurs identités respectives tout en affirmant une unité régionale.
Car c’est bien de cela qu’il s’agit : écrire l’Histoire n’est pas qu’un acte académique. C’est une manière de façonner le récit collectif, d’affirmer une souveraineté culturelle et politique. En redéfinissant leurs passés, le Mali et le Niger — accompagnés du Burkina Faso — cherchent aussi à se projeter vers un futur où leurs voix, unies dans le cadre de l’AES, résonnent plus fort sur la scène internationale.
Alors, saluons ces initiatives, tout en gardant un œil vigilant. Car si l’Histoire est un outil puissant pour rassembler, elle peut aussi diviser, surtout si elle est instrumentalisée. À l’heure où le Sahel redéfinit ses alliances, où les États de l’AES se posent en bloc uni face à un monde souvent condescendant, l’Histoire devient un enjeu stratégique. Que cette écriture commune soit un ciment et non une pierre d’achoppement. Après tout, c’est ensemble que ces nations bâtiront l’Histoire à venir.
Oumarou Fomba
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