Dans les rues de Bamako, des jeunes hommes venus d’ailleurs errent sans but, hantés par la faim et la désillusion. Leur quotidien ? Rôder autour des mariages et autres cérémonies pour mendier de la nourriture, même lorsqu’ils ne sont pas invités. Ces visages anonymes, souvent invisibles, révèlent une réalité déchirante qui ébranle la capitale malienne.
Bamako, cœur économique du Mali, est devenue un refuge précaire pour des milliers de jeunes migrants originaires de pays voisins tels que le Burkina Faso, le Niger, le Togo ou encore la Côte d’Ivoire. Promis à des lendemains meilleurs, ces adolescents et jeunes adultes se retrouvent piégés dans une spirale de précarité et d’exploitation. Une enquête menée sur le terrain révèle leur lutte quotidienne pour survivre et l’impact grandissant de ce phénomène sur la société malienne.
Les rêves brisés et la quête désespérée de subsistance
Dans un squat improvisé à Djicoroni Para, quartier de la commune IV de Bamako, Alidou Kinda, 22 ans, originaire du Burkina Faso, raconte son histoire avec amertume : « On m’a dit qu’à Bamako, il y avait des usines qui recrutaient des apprentis mécaniciens. Je suis parti avec mes économies, mais ici, personne ne veut me donner du travail. J’ai tout perdu ». Comme lui, des dizaines d’autres jeunes dorment à même le sol dans des écoles ou des bâtiments abandonnés, survivant grâce à des petits boulots informels ou de la générosité des habitants.
Ce qui frappe particulièrement, c’est leur présence récurrente aux abords des mariages, baptêmes et autres événements sociaux. « Ils traînent là, espérant récupérer quelques restes de nourriture après les festins », témoigne Aminata Koné, habitante de Kalaban-coro, quartier du sud-est du district de Bamako. « Certains n’hésitent pas à s’approcher discrètement des tables dressées, même s’ils ne sont pas conviés ».
Cette pratique, bien qu’humiliante, reflète l’étendue de leur détresse. Pour beaucoup, ces repas volés ou gracieusement donnés représentent leur unique source de subsistance. « Ce n’est pas par choix, mais par nécessité », explique Abdoulaye Dillo, migrant nigérien âgé de 20 ans. « Quand on a faim, on fait ce qu’il faut pour manger ».
Causes profondes et dynamiques migratoires
La migration intra-sahélienne vers Bamako trouve ses racines dans une combinaison de facteurs structurels. Selon Dr. Fatoumata Traoré, professeur de sociologie au Lycée, « la crise économique, les conflits armés et les effets dévastateurs du changement climatique poussent les jeunes à migrer ». Elle souligne également le rôle croissant des réseaux sociaux, où des « recruteurs » véreux promettent monts et merveilles contre des sommes modestes payées d’avance.
L’instabilité politique dans plusieurs pays voisins, notamment le Burkina Faso et le Niger, aggrave encore la situation. Beaucoup traversent la frontière vers le Mali en quête de sécurité temporaire, ignorant que leur parcours sera semé d’embûches.
Selon un document de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), la moitié des migrants venant à Bamako proviennent principalement du Burkina Faso (23 %), du Ghana (13%), de la Guinée (10 %), du Bénin (9 %) et du Niger (8 %).
Conséquences urbaines et tensions sociales
L’afflux massif de jeunes migrants fragilise davantage une ville déjà confrontée à des défis socio-économiques majeurs. À Niamana, les habitants déplorent non seulement la prolifération des squats, mais aussi l’augmentation des petits délits. « Avant, on pouvait laisser nos enfants jouer dehors sans crainte. Maintenant, on a peur qu’ils soient approchés par des gangs ou des dealers », témoigne Aminata Koné, mère de famille.
Les autorités locales, quant à elles, semblent dépassées. « Nous manquons cruellement de moyens pour gérer cette situation. Les services sociaux sont saturés, et la police ne peut intervenir efficacement partout »,reconnaît un responsable municipal sous couvert d’anonymat.
Mais au-delà des problèmes sécuritaires, ce sont les tensions sociales qui inquiètent le plus. « Il y a un risque croissant de stigmatisation des migrants, surtout lorsque certains s’engagent dans des activités illégales », alerte Souleymane Kané, expert en migration et consultant auprès des ONG locales. Selon lui, cette stigmatisation pourrait exacerber les divisions communautaires si rien n’est fait rapidement.
« Nous faisons face à une crise multidimensionnelle. La ville compte déjà plus de trois millions d’habitants, dont une proportion significative vit sous le seuil de pauvreté. L’afflux continu de migrants aggrave la pression sur nos infrastructures déjà insuffisantes », confirme un responsable de la Mairie de Kalaban-coro.
Réseaux criminels et exploitation
Derrière ce phénomène se cachent souvent des réseaux organisés qui exploitent la vulnérabilité des jeunes. Des intermédiaires opèrent depuis les villages frontaliers, promettant des emplois fictifs ou des conditions idéales. Une fois à Bamako, les migrants réalisent qu’ils ont été trompés. Certains finissent par intégrer ces mêmes réseaux, perpétuant ainsi un cycle infernal d’exploitation.
« Ces organisations prospèrent grâce à la corruption et à l’absence de régulation stricte des flux migratoires », analyse Dr. Malick Diarra, chercheur en criminologie. Il plaide cependant pour une collaboration accrue entre les États membres de la Communauté économique des états de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO) afin de traquer ces réseaux criminels.
Vers des solutions durables ?
Face à ce défi complexe, plusieurs pistes de réponse émergent. « Il faut créer des centres d’accueil spécifiques où ces jeunes pourraient bénéficier d’un soutien psychologique et professionnel », propose Mariam Sangaré, coordinatrice d’une association locale œuvrant auprès des migrants.
Le dialogue inter-étatique est également crucial. « Les gouvernements doivent harmoniser leurs politiques migratoires et investir dans le développement économique des zones rurales pour limiter l’exode rural », ajoute Dr. Traoré. De plus, sensibiliser les populations sur les dangers des migrations irrégulières reste indispensable.
Le gouvernement malien, conscient de son rôle à la fois comme terre de départ, de transit et de retour, adapte sa stratégie migratoire aux réalités actuelles. Entre avril et juin 2024, plus de 110 000 passages ont été enregistrés aux frontières, avec une majorité d’entrants motivés par la recherche d’emploi. De mars à avril 2025, 9 212 Maliens ont été rapatriés depuis la Libye, l’Algérie ou le Maroc, et 5 230 expulsés de la Mauritanie et d’Arabie saoudite. Parallèlement, le pays comptait fin 2023 quelque 354 739 déplacés internes. En réponse, Bamako révise sa Politique nationale de migration (PONAM) pour intégrer les enjeux sécuritaires, climatiques et sanitaires, tout en misant sur les transferts de la diaspora – estimés à 700 milliards FCFA en 2023 – comme levier de développement.
Ces jeunes migrants, égarés dans les ruelles de Bamako, portent sur leurs épaules le poids d’un système en déroute. Chaque morceau de pain récupéré lors d’un mariage symbolise à la fois leur résilience et leur désespoir. Si rien n’est fait rapidement, leur histoire deviendra celle d’une génération sacrifiée, condamnée à errer entre mirages et réalités brisées.
Bakary Fomba
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