Home Art et Culture Aïcha Diarra, directrice des éditions Gafe : « Notre secteur souffre du délaissement de nos autorités »

Aïcha Diarra, directrice des éditions Gafe : « Notre secteur souffre du délaissement de nos autorités »

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Le monde célèbre demain jeudi 23 avril 2020, la Journée mondiale du livre et du droit d’auteur. À cette occasion, nous avons eu un entretien avec Aïcha Diarra, écrivaine et directrice de la maison d’édition Gafé. Il a été question des difficultés que traverse le secteur de l’édition au Mali, mais aussi des défis du futur dans ce secteur au Mali ainsi que des préparatifs de cette Journée dédiée aux livres.

Phileingora : veuillez nous présenter votre maison d’édition à nos lecteurs !

Aïcha Diarra : les éditions Gafe est une maison spécialisée dans l’édition, la publication des livres, la diffusion et la promotion de l’auteur.

Pour le moment, nous avons une couverture nationale, mais nous sommes en train de travailler pour avoir une couverture internationale. Nous travaillons également à concrétiser les projets d’écriture dans nos langues nationales. D’ailleurs, c’est cela notre principale activité : concrétiser les projets d’écriture qui aident à promouvoir nos langues nationales qui ne sont pas assez prises en compte dans le domaine de l’édition. Cette volonté de promotion de nos langues nationales peut se voir à travers le nom Gafe (document).

Nous avons pour le moment trois collections : la collection Nyéléni, la collection Pöe et la collection Gafetèque.

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La première est celle qui accueille les textes qui rendent hommage à la femme et à ses combats. Quant à la collection Poï, elle accueille les textes d’expression poétique. Quant à la troisième collection, elle accueille les textes comme les essais, les textes de partage des connaissances.

Nous avons des services que nous sommes en train de mettre en place. Il y a Gafedistribution, qui va être un réseau de distribution à l’internationale. Nous avons également le service Gafetalk qui est là pour la promotion du livre et de l’auteur.

Au-delà de tous ceux-ci, notre maison évolue dans la rédaction, la relecture, la correction, la traduction, la mise en page des livres, etc. Nous évoluons également dans le domaine de l’infographie. Ce service est appelé Gafegraphie.

Gafe est une jeune maison d’édition malienne qui cherche encore sa voie. Comment traversez-vous cette période de pandémie ?

Nous sommes une jeune maison d’édition qui tente de surmonter des défis liés au monde de l’édition. Mais bien avant cette période de pandémie, des difficultés et des défis existaient déjà. La crise sanitaire n’a fait que les amplifier. En guise d’exemple, avant cette crise, le marché du livre était presque à l’arrêt. Mais avec le covid-19, on peut dire qu’il vit sa période de léthargie.

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Cette situation est générale pour le monde éditorial au Mali. Ce secteur peinait à être compétitif et souffrait de délaissement depuis des années et d’un manque de soutien de la part de nos autorités. 

Quand nous prenons des pays comme le Sénégal où il y a des années que le secteur de l’édition est soutenu par les autorités avec un fonds de plus de 1 milliard, nous nous rendons compte aisément du délaissement dont je viens de parler. Il n’existe même pas un fonds d’aide à l’édition au Mali. C’est vraiment dommage !

Les éditeurs maliens traversent une période qui risque de provoquer la fermeture de certaines maisons d’édition si l’État ne les soutient pas à surmonter ce défi. Après tout, nous sommes des producteurs de livres, du savoir. Le livre, c’est pour l’éducation, c’est pour la culture, c’est pour les écoles, etc. Je suis vraiment étonné de constater que le secteur qui s’occupe de ce travail soit l’un des secteurs le plus négligés pendant cette période de confinement. 

Nous savons que chez les éditions Gafe, les livres sont disponibles uniquement, pour le moment, en version papier. Cette maladie n’a-t-elle pas des effets sur votre marché du livre ?

C’est vrai qu’aux éditions Gafe nous travaillons uniquement en version papier. Notre politique éditoriale prévoit, depuis le démarrage de la maison, d’éditer et de se lancer dans la version numérique. C’est non seulement en tendance dans le monde, mais aussi c’est pratique. Pour des raisons économiques et compétitives, surtout pour la diffusion de nos livres, de nos auteurs, mais aussi pour la maison d’édition elle-même, le numérique peut être d’une grande aide.

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Les éditeurs maliens sont obligés de s’adapter à ce terrain qui est vraiment nouveau. Que cela soit ou sans le Covid-19, le format numérique fait partie des défis du futur. Malheureusement ou heureusement, l’arrivée du Covid-19 accélère ce projet de notre maison d’édition parce que nous sommes en train de travailler actuellement et de nous donner les moyens pour nous lancer dans ce domaine. Nous comptons être une référence en cela en Afrique.

Cette crise mondiale n’aura-t-elle pas servi de cadre pour le monde de l’édition de mieux évaluer l’avenir du livre papier ?

Les nouvelles technologies arrivent à impacter sur tous les domaines. De plus en plus, les gens ont tendance à lire sur leur téléphone, leur smartphone ou tablette, etc. C’est très pratique et il est vraiment aujourd’hui nécessaire que les éditeurs maliens se tournent vers l’avenir pour des raisons commerciales, c’est-à-dire la vente, la diffusion, la visibilité du livre, de l’auteur, de l’éditeur lui-même et de la rentabilité. C’est surtout très économique. Mais également pour des raisons sociologiques, parce que les besoins des consommateurs changent. Il faut s’adapter à ce changement.

Pourtant, l’avenir du livre papier n’est pas si sombre qu’il parait être. Parce que beaucoup d’éditeurs sont nostalgiques. Les auteurs également veulent toucher de leur main leur livre. Ce qui n’est forcément pas le cas avec la version numérique. Cette forme traditionnelle du livre aura du mal à disparaitre.

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Il faut tout de même se rappeler que des coûts sont vraiment liés à la version papier : l’impression, la diffusion, etc. Ce qui n’est pas forcément le cas pour la version numérique. Avec cette version, il n’y a pas d’impression, mais aussi un éditeur n’aura pas besoin d’envoyer tel nombre d’exemplaires dans telle ou telle librairie.

Avec une plateforme de vente en version électronique, où que l’acheteur soit, il peut acheter sur la plateforme et télécharger la version. Le numérique gagne en temps. C’est très rapide et on n’a pas besoin de frais de transport.

L’inconvénient est que l’acheteur ou le client après avoir acheté son livre peut perdre son téléphone. Il sera dans l’obligation de racheter le même livre. Beaucoup de lecteurs ont également du mal à lire un livre entier sur écran. La majeure partie de ces gens préfère rester dans la version papier, qui reste une perte de temps pour d’autres.

En version papier, tu peux garder le livre, l’offrir. Cette version peut faire des siècles quand c’est bien gardé.

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L’avenir de la version papier n’est pas si désastreux malgré la version numérique qui la menace de plus en plus. Toutefois, il est impératif que nous nous tournions vers la version numérique.

Comment préparez-vous l’après-Covid ?

On espère d’abord que cette crise prendra fin très vite. Parce que le secteur de l’édition du livre est vraiment à terre au Mali. Comme je l’ai dit, bien avant cette maladie, ce secteur avait déjà du mal à avancer. Le Covid-19 ralentit la rentabilité financière des maisons parce que le livre ne s’achète pas.

Néanmoins, ces difficultés ne doivent pas nous empêcher de travailler sur des projets nous permettant d’amortir les manques à gagner. Cette période nous permet de faire une pause et d’évaluer les réussites et les manquements de notre maison d’édition. Mais aussi d’évaluer le secteur même en général qui voit ses défis amplifiés à cause de cette crise sanitaire. Nous avons aussi des activités et des projets éducatifs qui ont été suspendus que très certainement nous allons relancer. De nouvelles activités seront également lancées. Nous allons lancer également notre réseau de distribution que nous sommes en train de créer en relation avec quelques pays. Notre maison d’édition prévoit aussi des activités avec les clubs littéraires et surtout nous lancer dans la littérature pour enfants. 

Nous sommes à la veille de la Journée mondiale du livre et du droit d’auteur. Que vous dit cette journée ?

Cet événement né de l’UNESCO qui est fêté chaque 23 avril est l’une des dates préférées du monde du livre. Car ça rend un vibrant hommage au livre, mais aussi aux auteurs, aux acteurs du livre (les éditeurs, les libraires, les imprimeurs, les clubs littéraires, mais aussi les lecteurs eux-mêmes). Peu d’événements célèbrent le livre alors que le livre est la source du savoir, de l’éducation. Le livre emmagasine tout ce que l’être humain a pu faire comme recherche dans toutes les sciences.

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Cette Journée est comme un rappel au caractère sacré du livre que l’histoire a montré. Il aide à éveiller les consciences et à avancer le monde. Cela me fait rappeler que la parole s’envole, mais que l’écrit reste. Il faut écrire parce que chaque pan de l’histoire est à transcrire. Il faut écrire chaque astuce du développement, chaque découverte, chaque science pour les futures générations qui doivent trouver dans les livres que nous écrivons l’exemple et l’explication nécessaire pour leur permettre de bâtir un monde meilleur. Le livre pour moi n’a pas de culture. Le livre voyage.

Le partage du savoir, c’est ce qui est vraiment célébré à l’occasion de cette Journée. 

En tant que directrice d’une jeune maison d’édition, pourrez-vous nous dire quelles sont les difficultés auxquelles le secteur de l’édition est confronté au Mali aujourd’hui ?

Le secteur de l’édition et du livre est confronté à de nombreux défis liés au coût élevé de l’édition du livre, de la publication, de la distribution, de la promotion des auteurs et de leurs œuvres. On peut également noter qu’au Mali il y a une inexistence d’une politique nationale du livre, l’absence de réseau de distribution et de véritables entreprises de librairie, l’inexistence d’un réseau étendu de bibliothèque à l’école et dans la communauté.

Il faut noter également le manque d’une culture de la lecture. Il y a également le coût élevé du livre comparé au faible pouvoir d’achat. Parce qu’il est difficile pour quelqu’un qui cherche ses frais de condiments de s’acheter un livre ou de l’acheter pour son enfant.

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Les gens n’ont pas le goût à la lecture. Nous sommes un peuple enraciné dans l’oralité. Ce qui peut expliquer pourquoi la lecture n’est pas le domaine préféré des Maliens. À ces défis s’ajoutent l’inexploitation de nos langues nationales qui ne sont pas suffisamment écrites, l’inexploitation locale des œuvres publiées au Mali et de leur apport pour faire avancer la société.

Nous pouvons constater que dans les programmes scolaires ce sont les livres étrangers que nos élèves, nos étudiants étudient plus alors que nous avons des écrivains maliens qui sont très talentueux. Mais malheureusement leurs écrits ne sont pas exploités.

J’ai aussi mentionné précédemment l’inexistence d’un fonds d’aide au livre et à l’édition au Mali.

Tous ces défis entraînent une démotivation des auteurs parce qu’il y a un faible revenu provenant des droits d’auteurs que les auteurs perçoivent. Notre secteur souffre du délaissement de nos autorités.

Selon vous, que faut-il faire pour améliorer ce secteur dans notre pays ? 

D’abord, il faut une politique d’aide au livre. Il faut surtout que nos autorités accordent de l’intérêt à ce secteur. Par la mise en place d’un fonds d’aide pour le secteur de l’édition. Il faudrait également que le ministère de la Culture ainsi que les partenaires du Mali aide à mettre une chaîne de distribution du livre. La formation des éditeurs aux nouveaux défis du monde éditorial est nécessaire comme par exemple la traduction de la version papier à la version numérique qui est vraiment impérative pour les éditeurs maliens.

L’État doit également pouvoir commander au moins un livre chez chaque éditeur pour qu’il puisse vivre. Parce que nous avons remarqué que les plus grosses commandes de nos autorités sont faites à l’extérieur. Or, elles peuvent aussi le faire auprès des éditeurs maliens. Il faudrait aussi que les éditeurs maliens se forment parce que le défi de l’édition, c’est vraiment produire des livres de qualité dans le contenu aussi bien que dans la présentation physique. Cela est indispensable pour que nos livres soient compétitifs sur le plan international.

Pour la célébration de cette Journée mondiale du livre, qu’est-ce que les éditions Gafe prévoit ?

En cette période de confinement où les écoles sont fermées, les populations sont quasiment confinées, les livres sont et restent un des moyens pour combattre l’isolement, mais aussi de permettre de s’instruire pour ne pas perdre le niveau, surtout pour les élèves.

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Pendant cette période, il faut mettre en place des politiques qui donnent le temps et que les élèves eux-mêmes se donnent le temps pour lire et surtout de profiter de ce mois de la Journée mondiale du livre de lire pour célébrer la lecture et le livre.

Pendant cette Journée mondiale du livre, les éditions Gafe lance un concours interclubs littéraire. Un concours qui sera axé sur la lecture et le livre. Ce concours sera lancé et les clubs de lecture pourront s’inscrire. Ce concours se nomme Gafe-confinement.

Notre objectif, c’est vraiment de célébrer la lecture, le livre, mais aussi de permettre et de voir une animation littéraire pendant ce mois de la Journée mondiale du livre. Parce que tout est arrêté et il faut vraiment une animation dans le secteur éditorial pour que le secteur ne se meure pas. Il y a des clubs motivés, mais par manque d’activités en cette période, ils risquent d’être fragilisés. Le secteur même risque d’être fragilisé.

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Malgré les difficultés, nous sommes obligés de rester debout et nous n’allons pas céder au covid-19. L’objectif, c’est vraiment avoir une animation culturelle même si c’est en confinement. Aussi, voudrait-on aider à instaurer le goût de la lecture et du livre à la jeunesse malienne. Aider pendant cette période, à instruire et à partager la connaissance. Même si nous n’organisons pas d’activités compte tenu de la situation, le savoir ne doit pas connaitre un coup d’arrêt. On ne doit pas arrêter de partager le savoir. Pour cela, il faut utiliser tous les moyens nécessaires.

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