En quittant l’OIF, le Mali, le Niger et le Burkina Faso affirment leur rupture avec l’influence francophone, dans un geste à la fois politique, linguistique et diplomatique.
Le départ du Mali, du Niger et du Burkina Faso de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) n’a rien d’un coup de tête. Il s’inscrit dans une mécanique bien huilée, où chaque geste des nouvelles autorités sahéliennes semble répondre à une logique de rupture totale avec les institutions perçues comme des prolongements de l’influence occidentale. Derrière cette décision, qui survient à la veille de la Journée internationale de la Francophonie, se cache une série de tensions, de calculs politiques et d’affronts diplomatiques qui ont précipité ce divorce inéluctable.
Une humiliation diplomatique devenue un casus belli
La Francophonie, ce « club » où la langue française se veut un lien entre nations souveraines, aurait-elle voulu humilier l’AES ? Selon des sources proches du dossier, le Mali, le Niger et le Burkina Faso n’auraient tout simplement pas été invités aux célébrations du 20 mars. Une énième exclusion perçue comme une insulte par ces États suspendus des instances de l’OIF après leurs coups d’État respectifs.
À Bamako, Niamey et Ouagadougou, cette mise à l’écart serait interprétée comme un affront supplémentaire d’une organisation jugée partiale et alignée sur les positions françaises et occidentales. Les gouvernants de ces Etats n’ont pourtant pas besoin d’une institution qui ne reconnaît plus leur souveraineté et les traite comme des parias.
Ce mépris ressenti n’est qu’un épisode de plus dans une série d’incompréhensions et de rancœurs qui remontent bien avant la prise de pouvoir des autorités de l’AES.
Vers une Francophonie reléguée au second plan
Si le rejet de l’OIF s’inscrit dans une logique de rupture politique, il s’accompagne aussi d’un changement de paradigme linguistique. Le Mali, à travers sa nouvelle Constitution adoptée en 2023, a relégué le français au rang de simple « langue de travail », faisant des langues nationales (bambara, songhaï, peul, etc.) les véritables langues officielles du pays.
Ce choix, loin d’être anodin, marque une volonté claire de s’affranchir de l’héritage colonial. Il n’est pas surprenant que ce soit précisément le Mali qui ait mené cette offensive contre l’OIF. En limitant le rôle du français dans ses institutions, Bamako pose un acte de souveraineté linguistique qui va de pair avec son rejet des organisations perçues comme des instruments de domination culturelle.
En décembre 2023, le Burkina Faso a franchi le cap dans sa quête de souveraineté linguistique. Par une révision constitutionnelle, le gouvernement a fait des langues nationales – mooré, dioula, fulfuldé et d’autres – les véritables langues officielles du pays, reléguant le français et l’anglais au statut de simples langues de travail. Ce choix, loin d’être anodin, s’inscrit dans une dynamique plus large de réappropriation culturelle et de rupture progressive avec l’héritage colonial. En plaçant ses langues ancestrales au cœur de son identité institutionnelle, le Burkina Faso affirme une volonté de bâtir un État en phase avec ses racines, tout en redéfinissant les codes de son ouverture au monde.
Le Niger, bien que n’ayant pas encore adopté une réforme linguistique aussi marquée, suit une trajectoire similaire. Dans ce pays, le français reste un outil administratif, mais n’incarne plus une appartenance à une communauté de destin.
Une rupture soigneusement mise en scène
Le départ de l’OIF n’est pas qu’un simple retrait administratif. C’est un message politique soigneusement préparé. À travers ce geste, l’AES envoie un signal fort à ses partenaires et à son opinion publique. Ces Etats ne veulent plus dépendre d’aucune organisation considérée comme un relai des anciennes puissances coloniales.
Dans les capitales sahéliennes, la communication officielle insiste sur un discours souverainiste. Il est temps de construire une coopération basée sur des alliances choisies et non subies. La Russie, la Chine et la Turquie sont de plus en plus citées comme des modèles alternatifs, tandis que l’idée d’une Francophonie libérée de l’influence française fait son chemin.
En interne, ce retrait est aussi un outil politique. Il alimente le récit nationaliste des régimes militaires, en consolidant leur image de dirigeants qui ne plient pas face aux pressions occidentales. Ces États estiment n’avoir plus besoin de cette Francophonie à sens unique.
Et après ? Entre isolement et nouvelles alliances
Si cette rupture satisfait les gouvernements sahéliens, elle soulève des questions sur l’avenir de la coopération internationale de ces pays. L’OIF offrait un cadre d’échanges culturels, éducatifs et économiques qui ne pourra pas être remplacé du jour au lendemain.
Certains observateurs estiment que ce retrait est un signal plus large de la crise du multilatéralisme. L’AES, qui prône une autonomie totale vis-à-vis des anciennes puissances coloniales et de leurs institutions, est-elle en train de s’isoler ou de redéfinir les contours d’une nouvelle coopération internationale ?
Une chose est certaine, en quittant l’OIF, le Mali, le Niger et le Burkina Faso indiquent ne plus vouloir être des spectateurs dans un espace qu’ils jugent biaisé. Ils veulent redessiner leurs propres règles.
Reste à voir si cette nouvelle indépendance les conduira vers une véritable renaissance ou un isolement stratégique.
Chiencoro Diarra
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