Entre pragmatisme et réalignement stratégique, la visite du président ghanéen John Dramani Mahama à Bamako, le mars 2025, marque un tournant dans les relations entre le Ghana et le Mali, dans un contexte de recomposition géopolitique ouest-africaine.
Le balancier diplomatique ouest-africain suit un mouvement lent mais inexorable, et les trajectoires parfois divergentes des capitales sahéliennes et côtières ne suffisent pas toujours à masquer les réalités d’intérêts convergents. Entre Bamako et Accra, le froid des dernières années semble désormais chassé par un vent de rapprochement. John Dramani Mahama, tout juste revenu au pouvoir à Accra, en janvier dernier, entend redessiner la carte de ses alliances, et dans cette nouvelle donne, le Mali d’Assimi Goïta figure en bonne place.
Demain samedi, l’aéroport international Modibo Keïta de Bamako verra atterrir un avion aux couleurs du Ghana, marquant la première visite officielle de Mahama en terre malienne depuis son retour au pouvoir. Ce déplacement, scruté avec attention dans les capitales ouest-africaines, scelle un tournant dans les relations entre les deux pays, longtemps affectées par les turbulences politiques maliennes et les divergences sur la gestion de la crise sécuritaire sahélienne.
Le signal fort d’Accra
Tout avait commencé par une invitation symbolique, mais ô combien significative. Celle adressée par Mahama au général Assimi Goïta pour son investiture le 7 janvier 2025. Si le chef de l’État malien, pris par les urgences nationales, n’a pu s’y rendre, il a cependant envoyé une délégation de haut niveau, menée par son Premier ministre, le général Abdoulaye Maïga, qui, quelques jours plus tard, effectuait une visite officielle de 48 heures à Accra. Le message était clair. Un dialogue stratégique entre les deux pays était en cours de réactivation.
En prélude à cette dynamique, Alfred Mahama, frère du président ghanéen et émissaire spécial, s’était déjà rendu à Bamako, peu avant l’investiture. Mission ? Remettre l’invitation officielle à l’investiture mais aussi préparer le terrain, amorcer des discussions sur la coopération bilatérale et les défis sécuritaires.
Le retour de Mahama au pouvoir a marqué une inflexion dans la posture d’Accra, qui se pose désormais en acteur pragmatique face à la recomposition politique sahélienne. Fini le temps des condamnations unanimes des transitions militaires, place à une approche plus nuancée, dictée par les réalités du terrain et la nécessité d’une stabilisation régionale.
L’or, la sécurité et l’AES, les nouveaux équilibres
Le rapprochement entre le Ghana et le Mali ne se limite pas à de la courtoisie diplomatique. L’or, pivot stratégique pour les deux économies, s’est imposé comme un levier clé dans les discussions. Accra et Bamako sont aujourd’hui deux acteurs majeurs de la filière aurifère ouest-africaine, et les enjeux liés à l’exploitation minière, aux circuits de commercialisation et à la lutte contre la contrebande constituent un point d’intersection fondamental.
Mais au-delà des ressources naturelles, le spectre de la sécurité pèse sur les négociations. Avec une situation sahélienne toujours volatile, le Ghana ne peut se permettre d’ignorer les réalités de ses voisins enclavés. Accra s’est ainsi montré ouvert à une coopération renforcée avec le Mali et l’Alliance des États du Sahel (AES), nouvelle entité née du divorce entre Bamako, Ouagadougou, Niamey et la CEDEAO.
Pour Mahama, ce rapprochement ne signifie pas un renoncement à la CEDEAO, bien au contraire. Accra veut jouer les médiateurs entre les deux blocs et prône une solution négociée plutôt qu’un affrontement frontal. « Il vaut mieux être un groupe de 15 qu’un groupe de trois », a-t-il récemment déclaré en Côte d’Ivoire, dans une allusion à peine voilée au départ du Mali, du Burkina et du Niger de l’organisation régionale.
Mais Bamako, lui, ne voit pas les choses sous le même angle. Pour le gouvernement malien, le retrait de la CEDEAO est irréversible et toute coopération se fera sous ses propres conditions. Mahama est donc venu en terrain délicat, cherchant à trouver un équilibre entre rapprochement et prudence diplomatique.
Une recomposition régionale en marche
L’image de Mahama et Goïta côte à côte au palais de Koulouba sera lourde de symboles. Si elle marquera le retour d’un dialogue politique dense entre Bamako et Accra, elle sera aussi le reflet des recompositions géopolitiques profondes en cours en Afrique de l’Ouest.
D’un côté, les pays côtiers, alignés sur une CEDEAO cherchant à maintenir son emprise sur l’espace sous-régional. De l’autre, les États sahéliens, en rupture avec cette organisation et engagés dans une quête d’autonomie stratégique et économique.
Mahama a voulu tendre la main sans froisser. Goïta, lui, a réaffirmé les nouvelles lignes rouges maliennes. Entre pragmatisme et réajustements diplomatiques, une chose est certaine: Accra et Bamako se parlent à nouveau, et dans la tempête sahélienne, ce simple fait suffit déjà à redéfinir les équilibres.
Chiencoro Diarra
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