Home Actu [ Tribune ] Le Labyrinthe de la démocratie : Réflexions sur les chemins brisés du Sénégal

[ Tribune ] Le Labyrinthe de la démocratie : Réflexions sur les chemins brisés du Sénégal

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Dans le tumulte des évènements politiques, le Sénégal se retrouve à un carrefour critique de son histoire démocratique. Alors que le pays semblait avancer sur la voie de la transparence électorale, une décision controversée vient semer le doute et l’indignation parmi la population. À travers un examen méticuleux de cette situation inédite, Amadou Ba, Juriste en droit public, à l’Université Cheick Anta Diop de Dakar (UCAD) nous plonge dans les méandres d’une démocratie sénégalaise en quête de son propre équilibre.

Tel un navire voguant sur les eaux agitées de la politique, le Sénégal a été le théâtre d’une série d’évènements déstabilisants, ébranlant les fondements mêmes de sa démocratie. Alors que les citoyens se préparaient à exercer leur droit de vote dans un climat d’espoir et d’anticipation, l’annonce soudaine d’un report électoral a jeté l’ombre de l’incertitude sur l’avenir politique du pays. Cette volte-face du pouvoir a déclenché une vague d’indignation légitime et soulève des questions cruciales quant à la stabilité institutionnelle et à la volonté populaire au sein de la nation ouest-africaine.

Une décision inédite dans l’histoire politique du pays

S’inscrivant dans le calendrier électoral, le Président de la République a pris, par le décret n° 2023-2283 du 29 novembre 2023, la décision de convoquer le corps électoral. Dans cette logique, le Sénégal a lancé un message fort, celui de promouvoir la compétition électorale sur la base d’un scrutin présidentiel inédit organisé sans la participation du président sortant (Macky Sall, conformément à sa promesse). Il s’agit d’une décision forte et très républicaine de la part du chef de l’État, qui a d’ailleurs été saluée par la communauté internationale. 

Malgré ces progrès remarquables de la démocratie sénégalaise, aujourd’hui, le peuple est confronté à une situation complexe et très regrettable en raison du revirement constaté depuis le 3 février 2024, avec l’annonce du discours du Président à la Nation. À la lecture du discours, le Président de la République évoque, par ces mots, sa qualité de Président garant du fonctionnement régulier des institutions et respectueux de la séparation des pouvoirs (…). Sur la base de ces motifs très légers, le Président de la République a signé le décret n° 2024-106 du 3 février, abrogeant le décret 2023-2283 du 29 novembre 2023 portant convocation du corps électoral. Cela justifie le report sine die de l’élection présidentielle prévue le 25 février 2024. Historiquement, depuis 1963, aucune élection présidentielle n’a fait l’objet d’un report au Sénégal. Cette annulation est inédite dans l’histoire politique du pays.

Nouvelle configuration de l’assemblée

De ce fait, l’indignation du peuple sénégalais envers le Président de la République est justifiée et très légitime. Concrètement, l’expression de la volonté populaire est offusquée et le processus électoral est peu probable vu le contexte socio-politique instauré depuis cette annonce. Au-delà de cette confiscation, la démocratie sénégalaise pose problème dans la mesure où l’incarnation de la souveraineté nationale par le peuple sénégalais, comme le prévoit l’article 3 de la Constitution du 22 janvier 2001 modifiée, reste une fausse idée claire. Du point de vue juridique, rien ne justifie ce report de l’élection présidentielle, car l’élection constitue un moment crucial dans une démocratie. Sans respect du calendrier électoral, la démocratie perd tout son charme.

Ce « moins mauvais des systèmes » reste tout de même l’affaire des gentlemen et des grandes dames. Pour y parvenir, il faut un leadership affirmé et une bonne gestion, gage d’une démocratie crédible et participative. L’indignation est juste et légale si l’Assemblée nationale, dernier rempart de la représentation populaire, ne remplit plus sa fonction d’antan.

Le « Peuple sénégalais » n’est-il pas victime dans le jeu politique ? Objectivement trahi par la nouvelle configuration de cette assemblée où l’on remarque une opposition à double facette. Subjectivement orienté vers une fonction de cette Institution de la République difficilement localisable dans la mesure où les lois passent comme une lettre à la poste sans débat constructif et contradictoire.

Repenser et de réinventer l’État sénégalais

On s’indigne donc parce qu’on nous a changé notre République, pour reprendre Maurice Haurioux lorsqu’il s’indignait sur la crise du service public et le changement de l’appareil d’État. Pour lui, « on nous a changé notre État ». Aujourd’hui, le Sénégal vit dans cette même situation.

Nous sommes indignés par l’étouffement des valeurs démocratiques, un phénomène qui se manifeste de diverses manières. Tout d’abord, la réécriture de la souveraineté nationale prive le peuple de son pouvoir décisionnel fondamental. Les décisions de justice, censées garantir l’équité et le respect des lois, sont souvent appliquées de manière laborieuse, sapant ainsi la confiance en leur efficacité et en leur impartialité.

De plus, l’image de la démocratie sénégalaise est écornée par une série de défis institutionnels et sociétaux. La difficile application des principes du service public, tels que l’égalité, la neutralité et l’équité, dans l’administration renforce ce sentiment de désillusion chez les citoyens.

En outre, la séparation des pouvoirs, censée garantir l’équilibre et la limitation du pouvoir, semble être devenue une utopie dans le contexte constitutionnel sénégalais. Cette absence de contrôle et de contrepoids institutionnels alimente les inquiétudes quant à l’avenir de la démocratie dans le pays.

Enfin, la quête d’identité de l’intégration régionale et la remise en question du statut de la Constitution comme norme suprême dans la hiérarchie des normes soulignent l’urgence de repenser et de réinventer l’État sénégalais. Ce besoin de transformation est nécessaire pour répondre aux exigences évolutives du monde contemporain et restaurer la confiance des citoyens dans les institutions démocratiques.

Amadou Ba, Juriste en droit public, UCAD

Mail : amaba1996@gmail.com


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