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Tribune : le coronavirus, manifestation de l’Esprit absolu ou folie de la raison ?

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La pandémie du coronavirus donne lieu à de multiples interprétations contradictoires. Pour mieux comprendre cette crise sanitaire, nous l’avons analysée à la lumière de certains philosophes du progrès. Il se révèle que le coronavirus ne serait qu’une manifestation de l’Esprit absolu au cours de laquelle la raison devient folle.

« Sans égard pour elle-même, la Raison a anéanti jusqu’à la dernière
trace sa conscience de soi 
», nous expliquent Max Horkheimer et Theodor W. Adorno dans « La dialectique de la raison». Ces philosophes de l’école de Francfort concluent à la folie de la raison qui a pourtant permis à l’homme de dominer la nature. La lecture et la compréhension du « Grand livre de la nature », pour employer une expression de Francis Bacon, philosophe expérimental, ont rendu possibles de grandes découvertes ayant facilité la vie aux hommes. Mais ce processus engendre l’autodestruction du possible « maître et possesseur de la nature » de Descartes. Comment comprendre ce renversement de la raison constructrice à la raison destructrice ?

La marche de l’Esprit absolu

« L’histoire universelle est la manifestation du processus divin absolu de l’Esprit dans ses plus hautes figures : la marche graduelle par laquelle il parvient à sa vérité et prend conscience de soi. » Ce passage d’Hegel dans son livre « La Raison dans l’histoire » a tout le mérite d’être rappelé aujourd’hui dans le contexte difficile que traverse le monde. En effet, cette folie de la raison ne serait autre que la marche de l’Esprit absolu. Pour ce philosophe allemand, l’Esprit se réalise en suivant un processus. Il progresse dans et par l’épreuve du négatif, des oppositions, des conflits de toutes sortes. Voilà toutes les contradictions du monde décrites.

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Derrière cette pensée hégélienne de la marche de l’Esprit absolu se cache l’influence de Fichte, un autre philosophe allemand. Selon celui-ci aussi, l’évolution historique de l’humanité passe par l’unification des contraires (la Monarchie à la République, le Despotisme à la Liberté) pour aboutir à l’établissement d’un état de paix.

En analysant l’histoire de l’humanité, on se rend compte qu’il arrive que les crises soient suivies par des changements de comportement et la prise des mesures en faveur de la protection de l’espèce humaine. Sur le plan politique, la Société des Nations (SDN) a été créée après la Première Guerre mondiale (1914-1918) et l’Organisation des Nations Unies (ONU) après la Seconde (1939-1945). Que de changement notable après des périodes de crise ayant assez coûté à l’humanité ! Mais de nos jours, avec l’apparition de multiples crises dans le monde, ne fait-on pas face à une faiblesse de l’ONU ? La règle de la marche de l’Esprit nous oblige d’être pessimiste dans le sens qu’entendent Adorno et Horkheimer le progrès.

Le coronavirus, trace de la marche de l’Esprit

Ces différentes considérations peuvent nous permettre de mieux appréhender cette pandémie qui ronge à grands feux le monde depuis au mois de décembre 2019. Le coronavirus ne serait alors que l’Esprit absolu en mouvement. Un mouvement qui rend la raison folle et destructrice.

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Toutefois, ce qui rassure avec ces théories de l’évolution de l’histoire mondiale, c’est leur dose d’optimisme. En effet, les phases de négativité se succèdent par celles de positivité. Partant de cette base, nous ne pouvons qu’espérer que cette pandémie, qui n’est qu’une phase de l’histoire mondiale, sera succédée par une période de progrès. La raison folle se guérira de sa folie pour donner un nouvel élan à l’humanité.

Failles des anciens systèmes

Cette nouvelle crise à laquelle le monde est confronté a révélé à la fois les failles de nos systèmes sanitaires et les limites de la mondialisation. Nous assistons ainsi à un manque de solidarité et au repli sur soi de certains pays contrairement à d’autres. Les limites du système capitaliste (il ne protège pas assez les individus) se révèlent au grand jour.  

S’il n’y avait pas dans certains pays comme la France des systèmes de sécurité sociale, des salaires garantis, des allocations d’aide au logement, etc., pour gérer le confinement, la situation allait être catastrophique.

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Les pays qui n’ont pas un bon système de sécurité sociale ne peuvent pas empêcher leur population de sortir. Le fait que la chine, le cuba et la Russie parviennent à mieux gérer la crise tout en apportant leur aide à l’Union européenne et aux États unis aura probablement des conséquences sur les relations diplomatiques et les rapports entre les puissances. 

Cette pandémie pourrait aussi renforcer le nationalisme et les replis identitaires sous prétexte de protection de soi ou de la Nation. Certains pays peuvent prendre des mesures pour renforcer leur système nationaliste (probabilité forte aux USA). Par contre, d’autres pays pourraient devenir plus ouverts aux étrangers (probabilité forte en Italie)

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Un autre aspect négatif de cette maladie concerne le risque d’isolement. En effet, si la crise révèle l’avantage des NTIC et contribue à leur émergence grâce au télétravail et à l’enseignement à distance, elle risque de favoriser en même temps l’isolement et la solitude.

Bouleversements positifs

Cette crise sanitaire pourrait avoir des avantages sur le plan écologique et pour les animaux. Si certains animaux souffrent parce que leur survie dépend des hommes, d’autres au contraire célèbrent l’absence des hommes et la réduction de l’usage excessif des gaz à effet de serre. La réflexion sur la consommation de la viande de certains animaux (à défaut du végétarisme) pourrait enrichir les débats.

Sur le plan social et humanitaire, le covid-19 peut être aussi une opportunité pour les pays de régler leurs différends et de dépasser leur orgueil pour une mondialisation plus sociale et plus humaine.

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La mise en place d’un système de contrôle sanitaire aux aéroports, ports et autres en plus du contrôle d’identité permettrait d’échapper aux pièges du nationalisme.

Outre tous ces aspects, il faut noter également la collaboration sereine qui se noue autour de cette crise. C’est l’une des rares fois où l’humanité a formé un seul bloc et a parlé un seul langage contre un seul ennemi. Cette expérience pourrait aider les hommes à grandir humainement et moralement.

« Se protéger, rester chez soi… c’est sauver des vies ». Ce slogan devenu célèbre montre combien les hommes sont liés et combien la portée et la valeur de mes actes sont importantes dans un monde commun. C’est ce constat qui nous amène à dire : nous sommes différents individuellement et culturellement, mais nous avons en commun une « humanité » qui permet à tout être humain d’évaluer la valeur et la portée de ses actes. Comme dit Popper, l’individu constitue un rouage essentiel au sein de la communauté où il vit, et ce qui fait le lien de cette communauté, c’est la raison. Le bien en soi n’est autre que le bien de l’espèce. Et donc un homme ne doit pas agir égoïstement comme s’il se suffirait à lui-même. 

Face au coronavirus, des éventuelles réformes

Sur le plan politique, il faudrait peut-être s’attendre à la dislocation ou à la réforme de l’Union européenne (UE), à la remise en cause du leadership des USA, de la France et de l’Allemagne et à la formation ou au renforcement du bloc Russie-Chine-Cuba et d’autres.  

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Sur le plan économique, il faudrait s’attendre à l’émergence des théories de l’économie sociale au détriment du libéralisme. Les mesures prises par le gouvernement chinois (en termes d’efficacité) et celles prises par le gouvernement français (en termes de protection sociale pendant le confinement) montrent les avantages de l’État providentiel tant prôné par Karl Popper.

La lutte entre la vérité et le mensonge

L’histoire de l’humanité n’est autre que la marche de l’Esprit absolu en quête de reconnaissance de soi. Comme nous venons de le voir, cette marche peut favoriser des êtres comme elle peut sanctionner d’autres. Les privilégiés d’hier deviennent ainsi des soumis d’aujourd’hui et les soumis d’hier des favorisés d’aujourd’hui.

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Nietzsche estime que cette marche n’est que l’effet d’une confrontation entre la vérité et le mensonge. « [ndlr] lorsque la vérité entrera en lutte avec le mensonge millénaire, nous verrons des ébranlements inouïs dans l’histoire du monde, les séismes tordront la terre, les montagnes et les vallées se déplaceront, et on n’aura jamais rien pu imaginer de pareil », avertissait ce philosophe dans son ouvrage « Ecce Homo ».

Théorie du complot

Comme souligne Nietzsche, cette succession nécessaire des faits dans le temps fonctionne avec des interprétations cherchant à situer la responsabilité de ces faits. On assiste à la naissance de la théorie du complot. « On prétend juger l’Histoire, la dépouiller de sa fatalité, trouver derrière elle une responsabilité, en elle des coupables. Car c’est de cela qu’il s’agit : on a besoin de coupables. Les mal partagés, les décadents de tout genre se révoltent contre eux-mêmes et ont besoin de victimes pour ne pas assouvir sur eux-mêmes leur soif de destruction (ce qui, en soi, serait peut-être conforme à la raison). Pour cela, ils ont besoin d’une apparence de droit, c’est-à-dire d’une théorie qui leur permette de se décharger sur n’importe quel bouc émissaire du fait qu’ils existent, de leur “être-ainsi-et-pas-autre ment.” », lit-on chez Nietzsche dans « Fragments posthumes ».

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Cette impression s’empare de beaucoup de citoyens de part et d’autre dans le monde où l’on estime que le coronavirus n’est qu’un virus conçu dans des laboratoires pour le plaisir de se faire de l’argent, de rajeunir leur population, etc. Beaucoup de thèses de ce genre sont entendues pour rejeter la faute sur Autrui. Toutefois, il convient plutôt de considérer que cette crise sanitaire mondiale n’est qu’un passage forcé de l’histoire de l’humanité.

Par Mamadou Coulibaly et Fousseni Togola

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