La démocratie, souvent réduite aux élections, dévoile ses limites face aux crises politiques et exige une réflexion profonde pour réinventer son essence.
La démocratie, souvent considérée comme le modèle politique idéal, repose sur un principe clé : permettre au peuple de désigner librement ses dirigeants par le suffrage universel. Ce système, appelé démocratie représentative, s’est imposé comme la norme dans de nombreux pays. Pourtant, même dans les régimes les plus autoritaires, où les libertés fondamentales sont gravement restreintes, des élections sont régulièrement organisées. Ces mises en scène visent à offrir une façade de légitimité aux dirigeants, montrant que le vote demeure un symbole universel de la démocratie.
Cependant, ce qui paraît évident aujourd’hui — que représenter le peuple revient à diriger et que gouverner repose sur l’élection — était autrefois jugé contraire à l’idéal démocratique. De l’Antiquité grecque jusqu’à la Révolution française, le suffrage universel n’était pas perçu comme l’essence même de la démocratie. Alors, pourquoi cette association entre démocratie et élections s’est-elle imposée ? Et surtout, cette corrélation est-elle encore pertinente ?
Des élections aux coups d’État : une démocratie en trompe-l’œil
L’Afrique de l’Ouest offre un contre-exemple frappant de cette idéalisation du suffrage. Entre 2020 et 2023, des coups d’État militaires successifs ont secoué le Niger, le Mali, le Burkina Faso et la Guinée, renversant des gouvernements élus. Ces événements révèlent une contradiction majeure : des dirigeants issus d’élections libres ont été rejetés par leurs propres peuples, leur légitimité contestée.
Face à cette instabilité, la CEDEAO a tenté de rétablir l’ordre démocratique en imposant des calendriers de transition, exigeant que les militaires au pouvoir organisent des élections rapides sans y participer eux-mêmes. Cette insistance sur les élections comme condition sine qua non de la démocratie reflète une vision rigide, où le retour à l’ordre constitutionnel semble être la seule voie vers la stabilité. Mais cette perception est-elle justifiée ?
Les limites de la démocratie électorale
L’organisation périodique d’élections libres est sans doute un pilier de la démocratie, comme l’énonce l’article 21 de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Mais l’expérience démontre que lier exclusivement la démocratie aux élections est un leurre. Au Mali, au Burkina Faso, au Niger ou en Guinée, ce qui est présenté comme la « volonté librement exprimée » du peuple à travers le vote est souvent dévoyé par des manipulations, des fraudes ou l’achat des consciences. Dans ce contexte, les élections deviennent un instrument de contrôle plus qu’un vecteur de souveraineté populaire.
Historiquement, les instruments de la démocratie électorale — bulletins, urnes, isoloirs — existaient bien avant les révolutions américaine et française. Pourtant, comme le souligne l’historien Olivier Christin, ce ne sont pas ces outils qui définissent la démocratie, mais la manière dont ils sont utilisés. La démocratie, comparée à un kaléidoscope, change de forme selon les contextes, offrant à chaque fois une combinaison unique.
Le vote, pas l’unique fondement de la démocratie
Si l’on remonte à l’Antiquité, Aristote considérait que le tirage au sort était plus démocratique que le suffrage, car il offrait une chance égale à chaque citoyen de participer au pouvoir. Montesquieu, dans De l’esprit des lois, et Rousseau, dans Du contrat social, partageaient cette vision. Ils voyaient dans le tirage au sort un moyen d’éviter les luttes de pouvoir inhérentes aux élections. Plus récemment, Jacques Rancière a affirmé que la démocratie n’est pas un régime, mais un idéal d’égalité souveraine entre citoyens, toujours à venir et jamais pleinement réalisé.
Cette réflexion remet en cause l’omniprésence des élections dans nos démocraties modernes. Comme l’affirme un rapport de la Maison de maintien de la paix Alioune Blondin Bèye de Bamako, en 2023, dans les États sahélo-sahariens en crise, des élections pacifiques et crédibles sont indispensables, mais elles ne suffisent pas à garantir la stabilité ou la sécurité. La gouvernance démocratique nécessite une approche plus globale, incluant des dialogues politiques élargis et une administration électorale efficace.
Vers une démocratie réinventée
Au Mali, le président de la transition, le général Assimi Goïta, insiste sur la nécessité d’éviter les erreurs du passé. Pour lui, la priorité est de garantir des scrutins inclusifs et sécurisés dans toutes les régions du pays. Cette approche vise à renforcer la légitimité du futur président et à prévenir les contestations post-électorales. Sous l’impulsion du Premier ministre Abdoulaye Maïga, le gouvernement a entamé des dialogues avec les acteurs politiques et civils pour assurer une transition apaisée.
Au-delà des élections, la démocratie doit être repensée. Elle nécessite des institutions crédibles, un dialogue constant entre les acteurs et une sécurité renforcée pour protéger les citoyens et leurs choix. Si les élections restent un outil essentiel, elles ne doivent pas être le seul critère de la démocratie. Comme le disait Montesquieu, « le sort est une façon d’élire qui n’afflige personne ». Peut-être est-il temps de considérer à nouveau cette idée, pour réinventer la démocratie dans un monde en quête d’équilibre.
La démocratie est un idéal mouvant, toujours en construction, où chaque nation doit trouver sa propre voie pour garantir l’égalité, la liberté et la souveraineté de son peuple.
Fousseni Togola
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