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Soudan : deux généraux, une capitale fantôme, et la guerre comme seul langage

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Alors que le général Al-Bourhane proclame la « libération » de Khartoum, son rival Hemetti promet de revenir. Plus qu’un tournant militaire, c’est la confirmation d’un conflit qui redessine le Soudan à coups d’alliances opportunistes et de replis tactiques. Entre ambitions croisées, épuisement humanitaire et diplomatie impuissante, une certitude s’impose, la guerre n’est plus l’exception, elle est devenue le système.

Il est des victoires qui se proclament plus vite qu’elles ne se consolident. Et des capitales qu’on libère sans jamais vraiment reconquérir. En annonçant, ce 29 mars au soir, que ses troupes « se battraient jusqu’à la victoire totale », le général Abdel Fattah Abdelrahman Al-Bourhane, chef de l’armée soudanaise, a voulu sceller un moment symbolique : la reprise de Khartoum, deux ans après son effondrement sous les coups de la milice rivale, les Forces de soutien rapide (FSR). Mais derrière l’uniforme impeccable et le ton martial, c’est une guerre d’usure qui se poursuit, sans vainqueur évident ni horizon lisible.

Depuis le palais présidentiel, réinvesti quelques jours plus tôt après une opération éclair, Al-Bourhane a écarté toute négociation avec son adversaire, le général Mohammed Hamdan Daglo, dit « Hemetti ». Il a parlé de milice terroriste, de reddition inacceptable, et de lutte sans compromis. Un langage de rupture, qui tranche avec les ambiguïtés du passé — lorsque, en 2019, les deux hommes cogéraient de fait la transition soudanaise, unis dans l’exclusion méthodique des civils.

Khartoum n’est plus un centre de pouvoir. C’est un champ de ruines.

Mercredi, l’état-major militaire annonçait fièrement avoir « nettoyé » les dernières poches de résistance des FSR dans la capitale. Le lendemain, Hemetti lui-même, dans un message diffusé en ligne, confirmait le retrait de ses troupes, qualifié de « repositionnement stratégique » vers Omdurman. Il promettait un retour. Car au Soudan, chaque recul n’est qu’un délai, et chaque victoire, un piège.

Dans un réflexe bien connu des guerres africaines à fronts mouvants, les FSR annonçaient, presque simultanément, une alliance militaire avec un groupe rebelle opérant dans les zones frontalières du Soudan du Sud et de l’Éthiopie. Samedi, elles revendiquaient une offensive dans le Nil-Bleu, à 140 kilomètres au sud-ouest de Damazin. Autant dire que le pays reste, plus que jamais, divisé : l’armée contrôle le Nord et l’Est ; les FSR, l’Ouest et une partie du Sud, notamment le Darfour, aux confins du Tchad.

Un conflit gelé, une diplomatie impuissante

Sur les rives du Nil, comme dans les couloirs de l’Union africaine, personne ne se fait d’illusions. Washington, qui a formellement accusé les FSR de génocide en janvier, a sanctionné les deux camps, tout en perdant, peu à peu, ses relais sur le terrain. Au Caire, on observe sans intervenir. À Riyad, on parraine sans convaincre.

Quant aux civils soudanais, plus de douze millions d’entre eux ont été déplacés, tandis que les morts se comptent par dizaines de milliers. La communauté humanitaire parle de catastrophe « à échelle continentale ». Mais sur le terrain, ni les appels au cessez-le-feu ni les tentatives de médiation n’ont infléchi la trajectoire du conflit.

La guerre comme seule matrice du pouvoir

Dans cette lutte à mort entre deux généraux issus du même moule — l’un forgé dans la hiérarchie militaire classique, l’autre dans les circuits parallèles du pouvoir tribal et économique —, la logique de la guerre a absorbé toutes les autres. Elle remplace les institutions. Elle régule les alliances. Elle définit l’autorité.

Comme en Libye hier ou au Tchad demain, c’est dans le vacarme des blindés et le silence des urnes que se joue l’avenir du Soudan.

Khartoum est peut-être tombée. Mais le pouvoir, lui, reste introuvable.

Chiencoro Diarra 


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