Moins de deux ans après leur victoire historique, le tandem qui incarnait le renouveau politique sénégalais se fissure. Entre le président Bassirou Diomaye Faye, soucieux d’affirmer son autorité, et son Premier ministre Ousmane Sonko, toujours porté par sa ferveur militante, la tension est désormais palpable. Derrière les sourires officiels, une guerre froide s’installe, faite de calculs politiques, de défiance réciproque et d’ambitions rivales.
Par un de ces retournements dont la politique sénégalaise a le secret, l’idylle entre le président Bassirou Diomaye Faye et son Premier ministre Ousmane Sonko a viré à la méfiance. Le duo fraternel de la conquête est devenu un couple présidentiel en crise. Le rêve de la cohabitation harmonieuse s’effrite, laissant place à une guerre froide où chacun affûte désormais ses armes.
De l’amitié militante à la rivalité d’État
Ceux qui les ont connus dans les geôles du régime Sall, partageant le même idéal de rupture, peinent à reconnaître les deux anciens compagnons d’infortune. À peine un an et demi après la victoire éclatante de mars 2024, les fissures sont devenues crevasses.
Depuis juillet 2025, les signaux d’alerte s’accumulent : Sonko, fidèle à son « verbe volcanique », avait publiquement reproché au chef de l’État son « silence » face aux attaques de ses adversaires. Faye, plus feutré, avait tenté d’éteindre l’incendie en rappelant que le Sénégal avait « d’autres urgences ». Mais sous le vernis de la fraternité, les rancunes couvaient.
Le jour où tout a basculé
Le 11 novembre 2025, la hache de guerre est déterrée. Par un décret laconique, Diomaye Faye écarte Aïda Mbodj, fidèle lieutenante de Sonko, de la coordination de la coalition présidentielle, pour confier la tâche à Aminata Touré. Un choix audacieux — certains diront provocateur — tant l’ex-Première ministre incarne la technostructure politique que le Pastef voulait précisément balayer.
Sonko encaisse mal le coup : trois jours plus tôt, à Téra, il avait publiquement juré qu’Aïda Mbodj « ne bougerait pas ». En rétorquant que « celui qui veut s’affirmer n’a qu’à descendre dans l’arène », le Premier ministre adressait, sans la nommer, une flèche au palais.
La guerre des légitimités
Derrière cette querelle de casting, une bataille plus vaste se dessine : celle de la légitimité. Diomaye Faye, élu président mais longtemps considéré comme l’héritier politique de Sonko, veut désormais s’émanciper. Sonko, lui, refuse de devenir un ornement institutionnel, cantonné à la primature.
Le communiqué présidentiel évoque pudiquement des « facteurs de division » ; les stratèges, eux, y voient la volonté de Faye de préparer son avenir. En réactivant la coalition sous un visage plus docile, le chef de l’État trace son propre sillon, au-delà de l’ombre tutélaire de son mentor. 2029 n’est pas si loin.
Le Pastef sort les griffes
La riposte du parti de Sonko est immédiate. Dans un communiqué incendiaire, le Pastef dénonce une « décision illégitime » et refuse de reconnaître Aminata Touré. Traduction politique : le Premier ministre défie ouvertement l’autorité de son président. Le Sénégal découvre alors une cohabitation de feu, où chaque camp revendique l’héritage du même électorat.
Les juristes y voient une question de prérogatives ; les politistes, un choc d’egos entre deux visions du pouvoir : celle, institutionnelle et hiérarchique, de Faye ; celle, messianique et populaire, de Sonko.
Une alliance piégée par son propre succès
Le paradoxe est cruel. La victoire de 2024 devait incarner la renaissance politique du pays. Elle se mue en guerre de positions. Faye, jadis secrétaire général discret, s’impose désormais comme un président soucieux d’ordre et de méthode. Sonko, tribun charismatique et chef de file du Pastef, reste l’âme du mouvement, mais plus tout à fait le maître du jeu.
Ce tandem improbable, uni contre Macky Sall, se retrouve aujourd’hui enlisé dans la mécanique du pouvoir : l’un veut gouverner, l’autre continue de militer.
Le spectre d’une rupture annoncée
Pour l’heure, les deux hommes jurent que rien ne les oppose. Mais le climat, dans les couloirs de la primature comme à la présidence, est électrique. Des proches de Faye murmurent qu’un remaniement pourrait sceller la fin de la cohabitation. D’autres évoquent, du côté de Sonko, la tentation d’une démission fracassante, au nom de la « cohérence morale ».
Dans un pays où la stabilité politique repose souvent sur l’équilibre subtil des egos, ce duel fraternel pourrait peser lourd.
Cette brouille ne se joue pas seulement à deux. Elle interroge une jeunesse sénégalaise qui, en mars 2024, croyait voter pour un renouveau. Les promesses de rupture, de justice et de souveraineté économique peinent à survivre au choc des ambitions.
Le pouvoir Faye-Sonko, né de la révolte, risque de mourir de la normalisation. Le Sénégal, laboratoire démocratique de l’Afrique de l’Ouest, entre dans une zone de turbulences.
Chiencoro Diarra
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