Home InvestigationsOpinion Salimata Togora, écrivaine : « La construction d’un État fort ne se fait pas en un jour »

Salimata Togora, écrivaine : « La construction d’un État fort ne se fait pas en un jour »

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Les événements politiques du 24 mai 2021 au Mali n’ont pas autant surpris beaucoup de Maliens en raison des rumeurs qui les ont préparés mentalement en amont. Dans cet article, l’écrivaine malienne, Salimata Togora fournit une analyse optimiste de la situation politico-sécuritaire de son pays. Elle reste convaincue que « dans ce pays il a existé, il existe des femmes et des hommes patriotes qui sauront travailler pour le faire sortir de l’ornière ».

Les peines les plus intimes sont souvent silencieuses. Mon pays traverse une période charnière de son histoire, jamais nous n’avons été aussi démunis, aussi seuls, aussi exhibés face au monde. Tout le monde disserte sur notre cas, en bien ou en mal, de bonne ou de mauvaise foi. Des fils du pays s’empressent de partager des vilenies sur leur patrie. On se dénigre, on se déchire. Certains frères africains s’y adonnent à cœur joie ; les désœuvrés et les ennuyeux peuvent jubiler, nous en offrant tant de spectacles.

Des citoyens des pays qui croupissent sous des dictatures décennales, si ce n’est des régimes présidentiels hérités de père en fils, se posent en donneurs de leçon.

« J’en appelle à ces élections »

Je balaye les commentaires, comme on arrache les mauvaises herbes d’un champ qu’on cherche à préserver.

Pourtant ce matin dans le taxi, je ne pensais pas qu’on en arriverait là. Les rumeurs de la nomination d’un nouveau gouvernement envahissaient la capitale. On parlait de divergence de vues entre le Premier ministre, le Président de la transition et la junte sur le choix des ministres.

Dans le taxi le débat est houleux, j’essaye de me concentrer sur le paysage. Au bord du goudron des vendeuses de mangues attirent mon attention. J’ai envie d’en acheter, mais le client du siège passager absorbe toute l’énergie du chauffeur. Je m’abstiens. Je rentre à la maison regrettant de ne pas apporter de fruits aux enfants.

Ma sœur m’appelle. Tu as entendu les nouvelles ? Oui. Et ? La vie continue. J’essaye d’écourter la conversation, j’ai un voyage à préparer, des documents à rendre… Les rumeurs de Bamako se confirment, nous avons un nouveau gouvernement — rien à foutre — et il y a 25 ministres dont 10 nouveaux et seulement 5 femmes, rien à cirer. Je n’ai qu’une hâte qu’ils fassent leur temps et organisent les élections ; ces fameuses élections sont le seul indicateur de performance de notre démocratie bancale. Pour paraphraser l’ancien ministre Ousmane Sy « la démocratie nous a donné la liberté, mais nous a dépouillés de nos valeurs » ; elle a surtout fait la richesse de l’Élite au pouvoir et laissé le peuple pour compte. J’en appelle à ces élections, même si je ne crois plus en leur valeur démocratique ; j’en appelle, car je n’ai plus foi aux sauveurs du 18 août 2020.

« Un pays miné de partout »

La construction d’un État fort ne se fait pas en un jour, cela passe par bien de turbulences, le Mali ne fait pas exception sauf que c’est un pays miné de partout, depuis trop longtemps.

En 2012, le MNLA, la rébellion touareg, les chouchous de la France s’alliaient aux djihadistes d’Ansar Dine  pour former le « Conseil transitoire de l’État islamique » et attaquer le Mali. En ces temps-là, on leur offrait des plateaux aux télévisions françaises pour leur propagande, on parlait de discrimination et d’injustices. Cette alliance malsaine avec les djihadistes donnera une porte d’entrée à ces derniers, qui vont finir par les évincer. Le cheval de Troie a franchi le mur. Financés, mieux organisés et mieux armés, les salafistes prennent le contrôle de Kidal, de Tombouctou et de Gao et attaquent jusqu’à Mopti. Le Mali agressé en son sein appelle ses amis à la rescousse, bien sûr la France sollicitée répond favorablement. Elle aide le Mali à repousser les djihadistes, mais ne lui permet pas de franchir le sol de Kidal. 

Depuis, nous avons un coup d’État, une élection présidentielle, une mission de maintien de la paix de l’ONU (la MINUSMA), les forces françaises (Barkhane), la force conjointe du G5 Sahel (FCG5S), la mission de formation de l’Union européenne (EUTM), plus de 100 000 militaires étrangers, mais aussi plus de 20  mouvements armés, des djihadistes, des milices qui se créent à vue d’œil pour protéger ou assaillir des villages laissés à la merci du mieux armé. Des conflits inter-ethniques — Le Mali n’en avait jamais souffert — les cousins Peuls et Dogons qui se déchirent, une première dans l’histoire du pays… Le Mali est immense, l’armée n’arrive pas à couvrir tout le territoire, la présence des forces étrangères n’y change rien. Le nombre de civils et de militaires tués monte en flèche.

Malgré tout, assaillie, éreintée par les problèmes sécuritaires et de gouvernance, la courageuse population ne baisse pas les bras et revendique son droit à une vie meilleure jusque dans la rue. Et, quand le régime fossoyeur du président IBK est balayé par de jeunes officiers, je suis de ceux qui ont hurlé de joie. Croyant une nouvelle ère pour mon pays. Hélas.

« Le meilleur est à venir »

Les rapports du vérificateur ne sortiront pas de sitôt du tiroir, mais on peut augmenter les prix du péage sans chercher à renforcer la redevabilité et à éclaircir la gestion des fonds qui en sont générés. Tout semble flou, quand le régime actuel fait des salamalecs à l’ancien dignitaire de Koulouba décrié pour sa corruption et son laxisme. Et les rumeurs de Bamako annoncent d’ailleurs que le coup d’État ne serait en fait qu’une mascarade orchestrée par des potes du général milliardaire Moussa Diawara, ami intime de la famille d’IBK, afin de sauver celle-ci.

La révolution tant souhaitée peut attendre. Ce ne sont pas des sauveurs. Ne seraient-ils que des profiteurs ? Et pourtant j’y ai cru, comme d’autres Maliens, nous y croyions. Les enjeux sont énormes, s’ils réussissent ce sera formidable, s’ils échouent nous en pâtirons tous. Et voilà qu’une querelle autour des fauteuils ministériels crée un nouveau coup de force. C’est vrai que des postes stratégiques sont en jeu, ceux de la Défense et de la Sécurité, mais diable, pourquoi maintenant ? Pourquoi le Premier ministre Moctar Ouane et le Président de la transition Bah NDaou se sont-ils adonnés à un bras de fer avec la junte, quand il fallait juste mener cette transition à terme ? Il ne restait que 10 petits mois. Le Lâcher-prise n’est pas de la lâcheté quand l’équilibre fragile de son pays en dépend. Nous en gagnerons tous à mettre l’intérêt de ce pays au-dessus de nos égos.

Mais les rumeurs de Bamako disent qu’au-delà de simples querelles pour des postes ministériels, il y a surtout un conflit de vision et dans la collaboration stratégique avec deux pays, la France et la Russie. D’autres disent aussi que la manière, du président de la transition sortant et de son Premier ministre, de prendre des décisions unilatérales en violation de la charte de la transition en est la cause. Mais après tout, qui peut bien porter caution aux simples rumeurs ?

Si j’ai peu de foi en la transition, j’ai foi en mon pays. Tout ce que je souhaite, c’est que ceux qui ont les gouvernails de la nation réussissent dans leur devoir de consolidation de la paix, qu’importe les alliés qui les aideront dans cette mission.

On se retrouve tous dans la grande famille. Ma belle –sœur est à l’hôpital pour accoucher. Ma sœur semble morose, elle s’inquiète pour les générations futures. Les enfants jouent comme si de rien n’était. Je la rassure en récitant comme une litanie : le meilleur est à venir. J’y m’accroche pour ne pas défaillir.

3e couplet

Dans l’après-midi, nous accueillons une petite lumière dans notre vie. La vie a force sur tout. Les retrouvailles de la famille autour de la nouvelle maman nous font oublier la gravité des derniers instants. Mais, le débat tourne vite autour de la politique. Nous le menons cependant sans désespoir.  Nous sommes inquiets, mais optimistes. Tout ira bien si nous restons unis.

Le lendemain, l’aéroport n’est pas fermé, le nouvel homme fort du pays, le colonel Assimi Goita demande à la population de vaguer à ses occupations. Dans le hall d’enregistrement, je tombe sur cette photo de Modibo Keita. Lui et ses compagnons ont donné sa dignité au Mali dans les années 1960. Leurs combats et leur patriotisme nous sont parvenus, et nous inspirent.

Oui, nous souffrons, oui l’avenir semble incertain, mais dans ce pays il a existé, il existe des femmes et des hommes patriotes qui sauront travailler pour le faire sortir de l’ornière.

En fredonnant ce 3e couplet de l’hymne national de mon pays, je monte dans l’avion, le cœur soudain apaisé :

La voie est dure très dure

Qui mène au bonheur commun

Courage et dévouement

Vigilance à tout moment

Vérité des temps anciens

Vérité de tous les jours

Le bonheur par le labeur

Fera le Mali de demain.

Salimata Togora


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