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Rapport du BVG : comment l’agriculture malienne nourrit ses dysfonctionnements

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Malgré des investissements massifs dans l’agriculture, un rapport accablant du Vérificateur Général, sur la période 2023-2014, révèle une gestion opaque, des détournements et des dysfonctionnements qui compromettent la souveraineté alimentaire du Mali.

L’agriculture malienne, ce « grenier » souvent vanté, n’est pas seulement le moteur économique du pays, elle est aussi un théâtre d’ombres où se jouent des batailles bureaucratiques, financières et politiques. Le dernier rapport du Bureau du Vérificateur Général, portant sur la gestion du ministère de l’Agriculture entre juillet 2023 et juillet 2024, en apporte une preuve éclatante. Entre irrégularités administratives, anomalies financières et opacité dans la gestion des subventions, le document dessine un tableau sans concession d’un secteur vital, mais rongé par des failles structurelles.

Un secteur essentiel, une gestion bancale

Le rapport rappelle un fait incontestable : 80 % de la population malienne dépend de l’agriculture, qui pèse pour plus de 35 % du PIB national. Pourtant, malgré des engagements répétés – et coûteux – en faveur de la modernisation du secteur, l’autosuffisance alimentaire demeure un mirage. Les subventions aux intrants agricoles, la gestion des engrais et la distribution des ressources continuent d’être marquées par des pratiques douteuses, des fraudes et des inefficiences bureaucratiques.

L’État malien, conformément aux engagements pris à Maputo en 2003, injecte plus de 10 % de son budget national dans l’agriculture. En 2023, 62 milliards de FCFA ont été alloués au ministère, contre 93 milliards en 2024. Des sommes colossales qui, selon le rapport du BVG, ne se traduisent pas systématiquement par des résultats concrets, en raison d’une gestion souvent approximative et parfois opaque.

Irrégularités et abus, une liste accablante

Le rapport met en lumière plusieurs dysfonctionnements majeurs :

• Absence de suivi des établissements publics sous tutelle : Le ministre de l’Agriculture n’a pas transmis au gouvernement le rapport général sur les établissements publics industriels et commerciaux placés sous sa responsabilité, empêchant toute évaluation sérieuse de leur performance.

• Gestion chaotique des engrais : le Programme de Résilience du Système Alimentaire en Afrique de l’Ouest (PRSA) a attribué des marchés à des prestataires non agréés pour la distribution d’engrais, tandis que des fournisseurs n’ont pas respecté les obligations de traçabilité des produits distribués.

• Dérives dans l’importation des pesticides : Le ministère a demandé des dérogations spéciales pour importer des pesticides non homologués, une décision qui va à l’encontre des normes sanitaires et environnementales.

• Comités fantômes : Le Comité National de Gestion des Pesticides (CNGP) et le Comité National des Engrais (CNE), censés encadrer la régulation des intrants agricoles, n’existent que sur le papier. Aucune réunion, aucun rapport, aucune activité : ils sont purement décoratifs.

Des milliards gaspillés dans un système inefficace

L’élément le plus frappant du rapport réside dans les dérives financières. La Direction des Finances et du Matériel (DFM) du ministère a procédé à des réceptions non conformes de matériels et d’équipements, tandis que l’Office des Produits Agricoles du Mali (OPAM) n’a pas justifié les quantités de blé manquantes dans le cadre d’un programme de distribution de 25 000 tonnes issues d’un don. Pire, certains opérateurs privés ayant bénéficié d’importantes quantités d’urée n’ont jamais réglé les montants dus à l’État, sans qu’aucune sanction ne soit prise à leur encontre.

On pourrait en rire si ce n’était pas aussi tragique. Des centaines de milliards de francs CFA sont investis dans l’agriculture chaque année, mais l’impact réel sur la sécurité alimentaire et le développement du secteur reste limité.

Le grand gâchis d’une souveraineté alimentaire annoncée

Dans un pays où la souveraineté est devenue un mantra politique, la question agricole est plus que jamais un enjeu stratégique. Pourtant, ce rapport met en évidence un paradoxe troublant : l’ambition de souveraineté alimentaire affichée par les autorités se heurte à des pratiques de gestion qui frisent l’amateurisme, voire la négligence coupable.

Pendant que les Maliens peinent à se nourrir et que l’État multiplie les discours sur la résilience, des décisions douteuses et des abus financiers viennent parasiter les efforts de réforme. Les fonds investis pour garantir l’autonomie agricole du pays sont souvent mal orientés, voire dilapidés, entre passations de marchés opaques, fraudes et absence de contrôle efficace.

Le rapport du Vérificateur Général ne fait que confirmer ce que tout le monde sait : sans une refonte profonde de la gouvernance agricole, la souveraineté alimentaire restera un slogan creux. Il ne suffit pas d’investir des milliards, encore faut-il s’assurer que ces fonds soient bien utilisés.

Un sursaut nécessaire

Les conclusions du BVG devraient logiquement déclencher une onde de choc. Des têtes tomberont-elles ? Des réformes structurelles suivront-elles ? Rien n’est moins sûr. Au Mali, les rapports s’accumulent, les scandales éclatent, et pourtant, le système résiste toujours.

Si l’État malien veut réellement sortir de l’ornière et atteindre ses objectifs d’autonomie alimentaire, il devra aller bien au-delà des déclarations d’intention. Des audits doivent être suivis de sanctions, des réformes, et surtout d’une tolérance zéro face aux abus. Car une agriculture qui nourrit ses prédateurs plus que son peuple ne peut être la base d’un avenir prospère.

A.D


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