Fabienne Battaglia-Brunet, BRGM
Imaginez un terrain à l’abandon, envahi par les mauvaises herbes… quoi de plus banal ? Mais c’est justement cette « banalité » qui est recherchée – et parfois difficile à obtenir – sur les sites d’anciennes mines. Car pour maîtriser les risques liés aux pollutions d’anciennes exploitations, micro-organismes et plantes sont mis à contribution. Ce « travail d’équipe » porte un nom : la phytostabilisation.
Le procédé a d’autant plus intérêt qu’il s’agit d’une technique écologique peu onéreuse, et que la France compte plus de 2000 dépôts de mines métalliques à traiter.
Pour comprendre la pollution des sites miniers, il faut remonter à leur « genèse », l’activité minière. Afin d’accéder aux métaux intéressants, les mineurs doivent extraire de grandes quantités de roche. Puis, lorsque le filon concentré est atteint, il est nécessaire de broyer le minerai pour n’en retenir que la partie la plus concentrée en métal. Le résidu est généralement rejeté et déposé à proximité du site d’extraction.
En quoi ces résidus représentent-ils une source potentielle de pollution ? C’est qu’ils contiennent des éléments métalliques et d’autres substances toxiques, comme l’arsenic par exemple. Le hic étant que ces résidus, plages ou tas de sable, peuvent disséminer leurs poussières toxiques. Souvent, les minéraux économiquement intéressants correspondent aux sulfures métalliques, riches en soufre et en fer. Exposés à l’atmosphère et aux intempéries, ils sont dissous par des bactéries qui tirent leur énergie de leur oxydation.
Cela peut produire des eaux acides polluées, généralement riches en fer et autres métaux. Or, les scientifiques ont découvert que des micro-organismes et des plantes pouvaient contribuer à piéger ces polluants.
Différents mécanismes contribuent à réduire la mobilité de ces polluants : les plantes peuvent retenir les particules de résidu dans leurs racines, modifier ou empêcher la circulation d’eau à travers le résidu, et les métaux sont piégés autour des racines par des processus pouvant associer plantes et micro-organismes.
Une ancienne mine d’argent du Massif central
Dans le cadre du projet scientifique Phytoselect – soutenu par la région Centre Val de Loire et coordonné par l’Institut des sciences de la Terre d’Orléans avec la participation du BRGM – ce procédé de phytostabilisation a fait l’objet d’une évaluation approfondie.
Un résidu sableux et acide, riche en plomb et arsenic, a été prélevé sur le site de l’ancienne mine d’argent de Pontgibaud, dans le Puy-de-Dôme. Des expériences de laboratoire à petite échelle ont tout d’abord permis de choisir les meilleurs ingrédients qui seront mélangés à ce sol toxique et pauvre en nutriments pour permettre aux plantes de pousser et neutraliser les effets de la pollution.
Puis, plutôt que de passer directement des résultats de laboratoire « en pot » au test sur site, une phase intermédiaire a été réalisée dans un mésocosme métrique, soit une reproduction maîtrisée d’un petit morceau, à peu près d’un m3, du site réel.
Ce dernier permet ainsi d’étudier, dans les conditions contrôlées du laboratoire, le comportement des polluants sur un profil de dépôt de résidu, de sa surface à la nappe souterraine. Le mésocosme est équipé de l’éclairage nécessaire pour la croissance des plantes et d’un système d’arrosage contrôlé, ainsi que de systèmes de mesure et de prélèvement d’eau à chaque profondeur.
L’expérimentation en mésocosme fournit de la sorte une image complète de ce qui se passe à l’intérieur du massif de résidus miniers lorsque les plantes se développent à sa surface.
Un an après l’amendement de surface et le semis des plants d’Agrostis, une herbacée dont les graines ont été collectées sur le site d’étude, les racines se sont bien développées et ont efficacement piégé les particules polluantes. Le flux d’eau percolant à travers les résidus a été diminué par rapport à l’état initial, probablement grâce à l’amélioration de la capacité du système à retenir de l’eau interstitielle, mais également en raison de la quantité d’eau absorbée et « transpirée » par les plantes.
Les données abondantes de cette expérience n’ont pas encore été entièrement exploitées, mais des variations importantes de paramètres le long du profil de résidu sont déjà observées : l’acidité, la diversité microbienne, les concentrations en métaux et autres substances dissoutes évoluent de la surface vers la profondeur.
Les mécanismes microbiens du piégeage
Quels rôles jouent les micro-organismes au cours du processus de phytostabilisation ?
Si certains contribuent à la dissémination des polluants par oxydation des sulfures présents dans les déchets, d’autres représentent des alliés précieux. Par exemple, des bactéries oxydent l’arsenic, le manganèse ou le fer, ce qui permet de piéger l’arsenic à la surface de particules, formées au cours des réactions d’oxydation. Au niveau des racines, des bactéries et champignons ont une action bénéfique sur la croissance des plantes.
Plus profondément dans le massif de résidu, d’autres bactéries, appartenant au groupe des sulfato-réductrices pourraient se développer en absence d’oxygène. Ces micro-organismes, lorsqu’on leur fournit une source d’énergie organique, font précipiter sous forme de sulfures divers métaux ainsi que l’arsenic ou l’antimoine.
Ainsi, des mécanismes microbiens, lorsqu’ils sont judicieusement maîtrisés, permettent de piéger sous forme de phases solides les polluants initialement dissous. Pour cette raison, l’évolution des populations de micro-organismes au cours de la mise en place du procédé de phytostabilisation, à différentes profondeurs, est très attentivement examinée.
En conclusion, les plantes et les micro-organismes peuvent contribuer à piéger les polluants d’origine minière, tels que les métaux et les métalloïdes. L’ingénierie inspirée par la nature peut contribuer de façon non négligeable à la réduction des risques autour des anciennes mines, à travers des procédés nécessairement adaptés aux conditions particulières de chaque site (minéralogie, topologie, hydrologie, biodiversité).
Fabienne Battaglia-Brunet, Chercheuse en microbiologie, BRGM
This article is republished from The Conversation under a Creative Commons license. Read the original article.
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