À Bamako, les fantômes d’un Boeing planent toujours sur le ciel judiciaire malien. Dix ans après son acquisition controversée, l’avion présidentiel d’Ibrahim Boubacar Keïta n’a pas fini de faire du bruit. Cette fois, ce ne sont plus les moteurs qui rugissent, mais les voix d’un prétoire où anciens ministres, hauts gradés et financiers doivent répondre de l’impensable : avoir survolé les règles pour s’offrir un symbole… au prix fort.
Ce n’est pas un avion comme les autres. C’est celui de tous les soupçons. Celui que l’ancien président malien, Ibrahim Boubacar Keïta, avait choisi d’acheter en 2014, dans un fracas d’emprunts et de silence administratif, pendant que le pays vacillait entre guerre et austérité.
Le Boeing présidentiel et ses annexes militaires – pour plus de 130 milliards de francs CFA – n’ont pas seulement fait décoller les chiffres ; ils ont précipité la défiance. Au menu des accusations : détournements de fonds, surfacturation, corruption, usage de faux, trafic d’influence. Le tout arrosé d’une opacité budgétaire que même le FMI avait, à l’époque, désapprouvée.
Embarqué sans plan de vol
L’affaire, enterrée sous les tapis du pouvoir pendant des années, a refait surface après août 2020. Avec la Transition conduite par le général Assimi Goïta, la justice a changé de cap. Finies les turbulences politiques ; place à l’atterrissage judiciaire.
En septembre 2024, le procès s’ouvre à Bamako. Sur le banc des accusés : dix noms, et non des moindres. L’ancienne ministre de l’Économie, Bouaré Fily Sissoko, fait face à la vindicte. Elle nie en bloc, évoque des actes « conformes à la loi », rejette les accusations comme autant de turbulences ex post. Dans la salle, l’ancien Premier ministre Moussa Mara dépose avec la gravité d’un témoin d’époque. Il rappelle les alertes, les critiques du FMI, et ce sentiment diffus d’avoir été embarqué sans plan de vol.
Le 8 juillet 2025, le couperet tombe : dix ans ferme pour Mme Sissoko, sept pour le colonel-major Nouhoum Dabitao. D’autres, comme le général Moustapha Drabo ou l’ancien ministre Mamadou Camara, quittent le prétoire blanchis. Cinq accusés restent hors d’atteinte, condamnés par contumace, quelque part entre Paris, Abidjan et la rumeur.
Juger un avion, c’est juger une époque. Celle où les palais voulaient voler plus haut que les peuples, où les chiffres s’envolaient pendant que les salaires stagnaient. Ce procès est un signal. La Transition malienne montre qu’elle sait tenir le manche de la justice.
A.D
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