A quelques mois des élections présidentielles, la Côte d’Ivoire se trouve à un carrefour délicat, où le retour de Laurent Gbagbo et les tensions politiques exacerbées pourraient redéfinir l’avenir du pays et de la région ouest-africaine, entre promesse de souveraineté et souvenir douloureux du conflit postélectoral de 2010-2011.
Dix mois séparent la Côte d’Ivoire d’une élection présidentielle cruciale non seulement pour le pays, mais également pour toute la région ouest-africaine. D’ores et déjà, ce scrutin se profile comme un événement épineux, qui va bien au-delà d’une simple passation de pouvoir. Il cristallise des tensions profondes autour de la légitimité des gouvernements en place, des dynamiques des relations internationales, et de la construction identitaire politique de ce pays côtier d’Afrique de l’Ouest. Le retour annoncé de l’ancien président ivoirien, Laurent Gbagbo, ne fait qu’ajouter à ces complexités. Sa réapparition sur la scène politique amplifie le discours souverainiste et introduit une critique ouverte des normes démocratiques perçues comme obsolètes.
Un soutien clair
Dans un entretien qu’il a récemment accordé à AFO Média, l’ancien président de la Côte d’Ivoire, a exprimé un soutien clair aux pays de l’Alliance des États du Sahel (AES), les qualifiant d’« États légitimes ». Tout en affirmant que ces dirigeants ont accédé au pouvoir par leurs « propres moyens ». De même, il a ouvertement critiqué la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), la qualifiant d’« instrument de propagande de la France ».
Cette position de Laurent Gbagbo pourrait être perçue, dans un premier temps, comme une démarche ambitieuse de reconfiguration de l’ordre politique ivoirien et sa place dans le contexte régional. Dans un second temps, sa critique acerbe de la CEDEAO, perçue comme un instrument d’ingérence occidentale, fait écho aux sentiments antipolitiques français croissants dans la région. En s’attaquant à la CEDEAO, l’ex-président ivoirien s’aligne sur une tendance observée dans plusieurs pays du Sahel, notamment le Burkina Faso, le Mali et le Niger, qui aspirent à se libérer des influences extérieures.
Un retour assombri
Cependant, cette posture, bien qu’elle puisse séduire une partie de la population désillusionnée par la gestion des crises sécuritaires et la perception d’une ingérence étrangère, est-elle suffisamment pertinente pour faire oublier la crise post-électorale de 2010-2011 ? L’électorat ivoirien est-il prêt à oublier les victimes humaines issues de cette période tumultueuse et à pardonner ?
Le retour de Laurent Gbagbo, bien que charismatique, est assombri par des défis considérables. Son absence sur la liste électorale et le souvenir douloureux des conflits de 2010-2011 pourraient freiner ses ambitions.
En effet, la crise postélectorale d’octobre 2010 à avril 2011 a profondément affecté la stabilité de la Côte d’Ivoire. Avec ses 3000 morts, ce conflit politico-militaire qui a opposé l’ex-président Laurent Gbagbo à l’actuel président, Alassane Ouattara, a créé une fracture profonde au sein de la population ivoirienne. Plus de dix ans après, cette période continue de resonner au sein de la population ivoirienne.
Malgré ce souvenir douloureux, la forte attitude de Laurent Gbagbo pourrait séduire une frange de la population ivoirienne, frustrée par une gestion des crises sécuritaires jugée inefficace et par la perception d’une ingérence étrangère.
Un processus électoral transparent et démocratique nécessaire
Parallèlement, le président Ouattara, confronté à des accusations sur la légitimité de son troisième mandat, incarne des tensions internes. Aussi, la révision constitutionnelle qui a ouvert la voie à son maintien au pouvoir aggrave les fractures au sein de la société ivoirienne. Cette décision est perçue par certains comme un désir insatiable de prolonger son règne, alimentant la défiance et le ressentiment. Au cœur de ce débat, la nécessité de garantir un processus électoral transparent et démocratique se profile comme un enjeu majeur qui déterminera la légitimité de ce scrutin.
Les soubresauts politiques de la région du Sahel, marqués par des coups d’État, la montée de la violence jihadiste, ainsi qu’un climat anti-français croissant, influencent également la perception des dirigeants en Côte d’Ivoire. Gbagbo, habile tacticien, utilise ces préoccupations pour cimenter un discours nationaliste, capable de séduire ceux qui se sentent abandonnés par les structures de gouvernance actuelles.
À l’approche de ce scrutin déterminant, les Ivoiriens seront confrontés à un choix crucial : poursuivre le chemin tumultueux d’une démocratie fragile ou embrasser une nouvelle ère, marquée par les enjeux de souveraineté et les risques d’instabilité. Les conséquences de cette élection dépasseront les frontières de la Côte d’Ivoire, influençant le destin politique et social de toute la région ouest-africaine.
Bakary Fomba
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