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Nucléaire civil : l’Afrique face au défi de l’indépendance énergétique

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Des déserts sahéliens aux côtes atlantiques, un vent discret mais profond souffle sur l’avenir énergétique de l’Afrique. Le continent, où 600 millions d’habitants sont encore privés d’électricité, parie désormais sur l’atome civil pour sortir de l’obscurité. Une révolution silencieuse, portée par des alliances russo-africaines, la course aux petits réacteurs modulaires, et l’ambition d’un avenir enfin sous tension… électrique.


Loin des clichés d’une Afrique cantonnée aux énergies dites « vertes » mais intermittentes, une quinzaine de pays africains frappent désormais aux portes de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) avec un objectif clair : entrer dans l’ère nucléaire civile. Le paradoxe énergétique est tel que ce virage, hier encore tabou, s’impose aujourd’hui comme une évidence géostratégique.

L’Afrique, riche en soleil, vent, gaz et uranium, reste pourtant le continent de la chandelle. Un demi-milliard de ses habitants vivent dans l’obscurité énergétique. La faute à un sous-investissement chronique, à une gouvernance parfois défaillante, et à des réseaux électriques aussi fragmentés qu’obsolètes.

Pourquoi l’Afrique se tourne vers le nucléaire ?


Parce que l’atome, malgré ses détracteurs, reste aujourd’hui la source la plus fiable pour fournir une électricité continue, massive, et décarbonée. À l’heure où le développement industriel du continent exige une puissance stable, les petits réacteurs modulaires (SMR) s’invitent comme réponse taillée sur mesure : 10 à 350 MW de puissance, une emprise au sol réduite, une modularité idéale pour les infrastructures africaines.

Ajoutez à cela le potentiel géologique du continent – la Namibie, le Niger, l’Afrique du Sud et le Malawi figurant déjà parmi les principaux producteurs mondiaux d’uranium – et le tableau devient limpide : l’Afrique a ce qu’il faut pour alimenter son propre futur atomique.

La Russie, maître d’œuvre de l’offensive atomique africaine


Rosatom, bras énergétique du Kremlin, multiplie les accords sur le continent. Mali, Burkina Faso, Égypte, Ghana, Soudan, Éthiopie… La Russie, forte d’une offre clé en main – financement, technologie, formation – avance ses pions avec une efficacité quasi militaire.

Au Mali, les autorités de transition ont ainsi signé avec Moscou un partenariat nucléaire à vocation énergétique. L’enjeu ? Doubler la production électrique nationale à horizon 2030, avec un appui sur les SMR russes. À Ouagadougou, même logique : compenser les carences du réseau classique, à l’abandon dans les zones rurales, par des unités nucléaires décentralisées.

En Égypte, le projet d’El-Dabaa – 4 800 MW à construire d’ici 2028 – fait figure de vitrine continentale. Un partenariat de 30 milliards d’euros, dont 85 % financés par la Russie, pour faire du pays de Sissi le deuxième État nucléaire d’Afrique après l’Afrique du Sud.

Le Ghana, candidat au leadership ouest-africain


Accra, pragmatique, veut transformer ses ambitions en hub nucléaire régional. Des discussions sont en cours avec EDF, NuScale, Kepco, et bien sûr Rosatom. L’idée est simple : faire émerger, à l’horizon 2034, une capacité de 1 000 MW. Et d’ériger le Ghana en centre de formation pour l’Afrique de l’Ouest.

Mais la marche est haute. Car l’atome ne se décrète pas. Il se prépare. Il s’institutionnalise. Et il se sécurise. Ce pourquoi l’AIEA a lancé en 2025 à Nairobi sa première École des SMR destinée aux décideurs africains. Objectif : bâtir une culture nucléaire locale, avant même d’installer la moindre turbine.

Les limites de l’ambition nucléaire africaine


Malgré l’enthousiasme affiché, nombre d’experts appellent à la prudence. Le professeur Hartmut Winkler, de l’université de Johannesburg, prévient : « La majorité des projets ne verront pas le jour avant plusieurs décennies. » Le coût reste un verrou majeur. Même en format SMR, une centrale nucléaire, c’est au bas mot des centaines de millions de dollars. Peu de pays africains peuvent – seuls – s’offrir un tel luxe.

Autre obstacle : la gouvernance. La sûreté nucléaire ne souffre ni l’improvisation, ni la corruption. Les agences nationales doivent être indépendantes, robustes, et transparentes. À défaut, l’atome peut vite devenir un fardeau géopolitique.

Entre dépendance et souveraineté : le dilemme atomique africain


Car derrière l’enjeu énergétique, c’est une autre partie qui se joue. La Russie avance ses pions, mais la Chine, les États-Unis et la France affûtent aussi leurs offres. L’Afrique devient ainsi un nouveau champ de bataille de la guerre des normes nucléaires.

Pour les capitales africaines, le défi est de diversifier les partenaires, éviter l’alignement stratégique, et négocier, pied à pied, les transferts de technologies. Un nucléaire africain sans souveraineté technologique serait une victoire à la Pyrrhus.
L’Afrique ne rêve plus de nucléaire. Elle le planifie. Elle le négocie. Elle le finance. Et surtout, elle l’intègre à son horizon de développement. Le nucléaire ne sera pas une solution miracle, mais il pourrait bien devenir une pièce maîtresse du puzzle énergétique continental.

Dans cette équation, le défi n’est pas uniquement technologique. Il est humain, politique et institutionnel. Bâtir un nucléaire africain, c’est aussi bâtir une gouvernance nouvelle, affranchie des tutelles, ancrée dans la compétence et la responsabilité. Et peut-être, enfin, entrer dans le XXIe siècle avec l’énergie… de l’avenir.

Chiencoro Diarra 


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