Dans un contexte international en recomposition, la visite officielle du Président malien en Russie, au cours de ce week-end, symbolise un basculement stratégique assumé. Bamako et Moscou consolident un partenariat multidimensionnel – militaire, économique et diplomatique – fondé sur la souveraineté et le respect mutuel. Plus qu’un déplacement protocolaire, un jalon dans l’axe Sahel-Eurasie.
À Moscou, on appelle cela « une visite d’importance stratégique ». À Bamako, on préfère parler d’« alliance de souveraineté ». Mais au fond, les mots importent peu : du 21 au 26 juin 2025, le président de la Transition malienne effectue sa toute première visite officielle, en bilatérale, en Russie — et tout dans ce déplacement dit le repositionnement assumé du Mali sur l’échiquier mondial.
Un déplacement au parfum d’alliance géopolitique
À l’invitation de Vladimir Poutine, le général Assimi Goïta retourne dans une capitale où il n’est plus un inconnu. Deux ans après sa participation remarquée au sommet Russie-Afrique de Saint-Pétersbourg, il revient cette fois non seulement comme président de la transition malienne mais également comme président de la Confédération des États du Sahel, porté par une ambition claire : ancrer le Mali dans l’orbite eurasiatique, à l’heure où les certitudes occidentales vacillent.
Les gestes symboliques, en diplomatie, valent parfois autant que les traités. Le choix de Moscou comme destination bilatérale, après les discours de rupture tenus à Bamako, Ouagadougou ou Niamey, envoie un message sans ambiguïté : dans un monde devenu multipolaire, le Mali ne demande plus la permission — il choisit.
Bamako veut du concret, pas des promesses
Depuis 2021, les lignes ont bougé à grande vitesse. La Russie, d’abord perçue comme un partenaire sécuritaire alternatif, s’est muée en interlocuteur global : du militaire à l’agricole, du blé à l’uranium, des drones au numérique, Moscou s’est installé dans les interstices que d’autres ont désertés. Et dans les salons feutrés du Kremlin, on sait reconnaître la fidélité.
L’agenda de cette visite ne trompe personne. Derrière les poignées de main et les sourires d’apparat, il s’agira de convertir les intentions en mécanismes. Traduire les amitiés en investissements. Opérationnaliser — pour reprendre le jargon des chancelleries — une commission bilatérale déjà annoncée mille fois. Et surtout, donner corps à une diplomatie économique qui ne se contente plus d’échanger des formules, mais exige des résultats.
De la kalachnikov au blé : une coopération tous azimuts
Car le partenariat russo-malien n’est plus une hypothèse. Il est déjà un fait. En témoignent les livraisons successives de blé, d’engrais, d’hydrocarbures, de matériels militaires, mais aussi les 290 bourses offertes pour l’année universitaire à venir. Le 16 juin dernier, le président malien de la transition lançait les travaux de construction de la raffinerie d’or du Mali. Un projet confiée au russe Yadran. Une présence discrète mais solide, qui tranche avec les suspicions et les conditionnalités jadis imposées par d’autres partenaires.
Reste que Moscou n’est pas un philanthrope. Et Bamako, pas une cliente passive. Les discussions autour de mécanismes de paiement direct entre banques centrales, de transferts technologiques pour la numérisation de l’administration fiscale, ou encore d’accords miniers conjoints, montrent bien que le deal se veut gagnant-gagnant — et que chacun y trouve son compte.
Mais au-delà de l’économie et du militaire, c’est un pari politique que joue le président malien. Celui d’un pays qui revendique sa pleine capacité à redéfinir ses alliances. Celui d’un chef d’État qui sait que dans ce moment de reconfiguration mondiale, les puissances moyennes jouent gros, parfois en silence, souvent en avance.
Moscou, nouvel épicentre des relations sahéliennes ?
La Russie, de son côté, joue une autre partition : celle d’une puissance globale en quête d’ancrage africain durable. À défaut d’être partout, elle veut être là où elle compte. Et le Sahel, aujourd’hui, est devenu ce théâtre inattendu où s’écrivent les alliances du XXIe siècle.
Certes, les critiques fusent. Certains dénoncent des dépendances nouvelles, des influences opaques, des partenaires peu regardants. Mais au Mali, on a appris à se méfier des leçons données depuis des tribunes lointaines. Le monde change. Les règles aussi. Et les États du Sahel, jadis sous tutelle diplomatique, entendent désormais parler d’égal à égal — quitte à bousculer les codes.
Cette visite, donc, est tout sauf anecdotique. Elle scelle un basculement, entérine une orientation, stabilise un axe. Et elle rappelle, s’il le fallait, que dans les relations internationales comme dans la vie, ce sont rarement les plus bruyants qui tiennent les cartes. Parfois, c’est à Moscou qu’on les distribue.
Chiencoro Diarra
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