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Mali : retour sur l’incarcération de Étienne Fakaba Sissoko

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Libéré après une détention, Étienne Fakaba Sissoko retrouve sa liberté sans fracas. Dans un Mali en transition, sa sortie réactive le débat délicat de la conjuguaison de la souveraineté de l’État et de la liberté de penser sans rompre l’équilibre fragile du vivre-ensemble républicain. 

Bamako, jeudi 27 mars. Un portail qui grince. Une silhouette amaigrie. Un sourire discret, plus de fatigue que de défi. Ce matin-là, Étienne Fakaba Sissoko, professeur d’université, économiste, essayiste, sort de la prison de Kéniéroba comme on émerge d’un long tunnel. Un an jour pour jour, presque heure pour heure, après son arrestation pour ce que la justice malienne a qualifié d’« atteinte au crédit de l’État », « injures » et « diffusion de fausses nouvelles ». En réalité, pour un livre. Un livre jugé trop critique, trop libre, trop frontal.

Un livre, un procès, une année

Tout était parti d’un livre. Un ouvrage dense, analytique, au titre sans détour, dans lequel Fakaba Sissoko examinait – parfois sévèrement – la communication du gouvernement de transition. En mai 2024, il est condamné à deux ans de prison dont un ferme, assortis d’une amende, pour « atteinte au crédit de l’État », « injures » et « diffusion de fausses nouvelles de nature à troubler la paix publique ».

Une condamnation qui, à l’époque, avait fait réagir les organisations de défense des droits humains. Mais le gouvernement avait assumé une lecture judiciaire et non politique de l’affaire, rappelant que la justice suit son cours, y compris lorsque les concernés sont des intellectuels ou des cadres.

Le contexte malien est particulier. La Transition ne se fait pas dans un climat de stabilité retrouvée, mais dans une conjoncture sécuritaire, politique et économique extrêmement sensible. Dans ce contexte, la parole publique est un enjeu d’équilibre, et l’État veille à maintenir une ligne de cohésion nationale, quitte à parfois en durcir les contours.

Pour autant, la Transition malienne n’est pas sourde aux signaux. Elle l’a prouvé en libérant récemment plusieurs figures politiques détenues, dans un geste d’ouverture salué même au-delà du cercle des soutiens habituels du pouvoir. Des signes qui montrent que le gouvernement cherche un point d’équilibre entre autorité et dialogue, entre souveraineté et respiration démocratique.

Une liberté individuelle, mais un débat collectif encore ouvert

La libération de Fakaba Sissoko s’inscrit dans ce paysage mouvant. Elle intervient alors que d’autres figures de la société civile, comme Mohamed Youssouf Bathily alias Ras Bath, Rose « Vie Chère » ou encore Ben Le Cerveau, restent encore en détention. Chacun de ces cas, unique par sa nature, rappelle que le Mali traverse une phase de redéfinition des règles du vivre-ensemble républicain : qui peut dire quoi ? Jusqu’où peut-on contester sans nuire ? Et comment penser autrement sans être perçu comme un danger ?

Ces questions n’ont pas encore trouvé de réponses définitives. Mais leur simple existence dans l’espace public malien témoigne d’un pays qui débat, qui hésite, qui se cherche. Et c’est déjà beaucoup. De toutes les façons, il est important que la parole soit régulée, selon le philosophe Thomas Hobbes, parce qu’elle est aussi bien capable de guérir que de blesser. 

À sa sortie, Etienne Fakaba Sissoko n’a pas crié vengeance. Il n’a pas non plus revêtu l’uniforme du martyr. Il a remercié ceux qui l’ont soutenu, réaffirmé son attachement à la liberté d’expression et au débat académique, et s’est tu sur le reste. Comme s’il savait que, parfois, le silence d’un homme qui a payé pour ses idées en dit plus long qu’un discours.

Si l’histoire récente du pays nous a appris une chose, c’est que la paix durable ne naîtra ni dans le vacarme ni dans l’unanimisme, mais dans l’équilibre, parfois fragile, entre la fermeté de l’État… et la voix de ceux qui pensent autrement.

A.D


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