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Mali : Quand la gestion tousse à la SONATAM

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Entreprise stratégique aux parfums de monopole d’État, la SONATAM fait aujourd’hui l’objet d’un rapport accablant du Vérificateur Général. Entre surfacturations, irrégularités de gestion, nominations douteuses et silences administratifs, l’usine historique du tabac malien soulève des interrogations sur la gouvernance publique, les partenariats privés et les zones grises de l’économie formelle.

Il y a des noms qui sentent le passé industriel, la fumée des années 60 et les grandes ambitions républicaines. SONATAM en est un. Mais derrière l’héritage glorieux, c’est aujourd’hui une autre réalité que révèle la dernière vérification du Bureau du Vérificateur Général (BVG) : celle d’une entreprise stratégique, prise en tenaille entre dysfonctionnements administratifs, irrégularités financières et arrangements entre actionnaires.

Une gestion interne approximative

Créée en 1968, héritière d’une coopération sino-malienne et d’un monopole d’État sur le tabac, la Société Nationale des Tabacs et Allumettes du Mali (SONATAM-SA) incarne une certaine idée de la souveraineté industrielle. Mais cette façade s’est fissurée au fil des privatisations. L’État, actionnaire minoritaire (38,5 %), a cédé les commandes au secteur privé — Libyen, français et malien — dans une symphonie d’intérêts parfois dissonants.

Le rapport du BVG, couvrant les exercices 2021 à 2024, dresse un inventaire à la Prévert d’anomalies. Des nominations non conformes, des recrutements biaisés, des dépenses engagées sans pièces justificatives, des immobilisations non tracées, et surtout — l’essentiel — plus de 6,4 milliards de FCFA d’irrégularités financières.

À la tête de cette mécanique grippée, un trio : le Directeur Général, le Directeur Financier et la Directrice Financière Adjointe, régulièrement cités dans le rapport pour des dépassements de prix sur les achats de matières premières, des primes injustifiées versées au personnel et des paiements douaniers fantômes. À cela s’ajoute une gestion interne approximative, où l’audit, censé être le chien de garde, reste sagement attaché au pied du maître, la Direction Générale, au mépris des normes d’indépendance.

Une entreprise qui peine à se réguler

Mais le plus troublant reste ce silence administratif. Aucun arrêté interministériel sur les teneurs maximales en goudron, nicotine ou monoxyde de carbone. Aucun comité régional de contrôle du tabac fonctionnel à Sikasso, Ségou ou Kayes. Comme si la santé publique pouvait attendre. Comme si l’économie du tabac devait rester un angle mort du débat public.

Pourtant, SONATAM n’est pas une entreprise banale. Plus de 82 milliards de FCFA de chiffre d’affaires en 2021, plus de 5,6 milliards de cigarettes vendues en 2023, et une contribution de près de 5 milliards de FCFA en impôts et taxes sur trois exercices. Un acteur industriel majeur, mais dont la gouvernance semble flotter entre archives poussiéreuses et contrats léonins.

Dans cette brume de gestion, un mot revient : contrebande. Maintenir son taux en dessous de 4 %, disent les textes. Une gageure dans un pays où les frontières sont aussi poreuses que les règles fiscales. Et c’est là tout le paradoxe. Une entreprise censée réguler un marché, mais qui peine à se réguler elle-même.

Des interrogations

Le rapport du Vérificateur ne juge pas. Il constate. Il documente. Mais derrière les chiffres, ce sont des choix politiques qui s’esquissent. Quelle vision pour les entreprises publiques maliennes ? Quelle place pour l’État dans un secteur aussi sensible que le tabac ? Et surtout, quelle justice comptable pour les milliards de francs CFA dont on ignore aujourd’hui l’usage ?

À défaut de fumée blanche, c’est donc un nuage de questions qui plane sur la SONATAM. Et sur les autorités désormais sommées, non plus de produire, mais de répondre.

A.D


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