Lynché à mort pour une altercation banale, Lord Makaveli, étoile montante du rap malien, incarne tragiquement une jeunesse vulnérable. Sa disparition brutale est bien plus qu’un drame : c’est un miroir tendu à une société où la violence populaire devient loi et où la parole des jeunes artistes est trop souvent réduite au silence.
Le Mali s’est réveillé ce 11 juin 2025 avec une douleur sourde. Un silence étrange, inhabituel, s’est installé dans le vacarme numérique de Bamako. Lord Makaveli, jeune figure montante du rap malien, est mort. Non pas dans un accident ou des circonstances floues. Mais lynché. Battu à mort, en pleine rue, à Bacodjicoroni ACI, pour ce qui aurait pu n’être qu’un banal accrochage. Une altercation avec une vieille femme. Un geste mal interprété. Une foule chauffée à blanc. Puis le drame. Une tragédie aussi brutale qu’absurde, dans un pays où l’émotion déborde souvent, mais où la justice se noie parfois dans la vindicte.
Une figure du rap, entre codes urbains et engagement social
L’histoire, telle qu’elle nous est rapportée, débute par un incident ordinaire : une altercation avec une vieille dame, un refus d’excuse, une posture perçue comme arrogante. En quelques minutes, l’artiste est encerclé, frappé. Emmené d’urgence à l’hôpital. Trop tard. Lord Makaveli n’avait pas 30 ans. Il avait un micro, une voix, des rêves. Il est mort comme meurt trop souvent une partie de la jeunesse au Mali.
Ceux qui l’écoutaient depuis ses débuts sur les plateformes underground savaient. Lord Makaveli — pseudonyme inspiré de Tupac, mais voix résolument bamakoise — portait un regard brut sur son époque. Avec sa mixtape Zoo, il avait capturé l’énergie des rues, la nervosité d’une jeunesse tiraillée entre urgence de vivre et manque de repères. Ses morceaux, comme Un autre Malien Américain ou Trophée, parlaient d’exil intérieur, d’identité mouvante, de résistance à l’effacement. Il n’était ni lisse ni consensuel. Il était vrai.
L’indignation posthume : les réseaux, l’émotion, l’impuissance
Les réactions n’ont pas tardé. Sur X, Facebook, Instagram. « Même s’il avait tort, il ne méritait pas cette fin », écrit un internaute. « Ce n’était pas un ange, mais c’était un être humain », ajoute un autre. La communauté rap malienne est en état de choc. Mohamoud Badini III, Salif Diakité, BT Média, NG TV : tous s’accordent à dire qu’on a franchi une ligne. Celle de la barbarie collective, du jugement immédiat, sans filtre.
Car au fond, ce lynchage en dit long sur notre époque. Le fait divers est un thermomètre. Et ici, il indique fièvre. Celle d’un pays sous tension, où la frustration sociale alimente les violences dites « populaires ». La loi du talion remplace le débat. La foule remplace le juge. Et l’artiste, parce qu’il est visible, devient cible.
Une scène musicale endeuillée, mais avertie
La mort de Lord Makaveli laisse un vide sur une scène rap en pleine mutation. Une scène tiraillée entre identité locale et aspirations globales. Le rap malien, encore marginalisé, était en train de se structurer, de s’exporter. Makaveli en était l’un des visages. Avec son style mêlant tradition, engagement et punchlines, il incarnait une jeunesse qui refuse la résignation. Il voulait réussir, mais sans trahir. Il est mort avant de prouver qu’on pouvait le faire.
Il restera cette mixtape Zoo, quelques clips, des freestyles partagés, et cette interview où il disait : « J’ai fait des erreurs, mais je veux rester moi-même. » Il restera surtout cette mort, absurde, qui ne doit pas être oubliée. Parce qu’elle interpelle. Parce qu’elle dépasse l’artiste. Parce qu’elle parle du vivre-ensemble, du rapport à l’autorité, de la colère sociale. Parce qu’au fond, ce n’est pas qu’un rappeur qui est tombé. C’est une part de notre conscience collective.
Il est difficile d’écrire « fin » à cette histoire. Parce que la blessure est encore chaude. Mais il faut dire ceci : Lord Makaveli n’était pas parfait. Il était humain. Il était artiste. Il avait le droit de vivre. Le droit d’être jugé autrement que par la foule. Et son dernier message, c’est peut-être celui-là : qu’on ne peut construire une société stable sur les ruines de sa jeunesse.
A.D
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