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Mali – Le vert se meurt

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Face à une déforestation galopante, le Mali multiplie les campagnes de reboisement et les réformes législatives. Mais sur le terrain, entre gouvernance défaillante, exploitation anarchique des ressources et inertie administrative, la forêt continue de reculer. Analyse d’une urgence écologique devenue enjeu national.

À quarante kilomètres à peine de Bamako, la forêt classée de la Faya agonise lentement, dans une indifférence feutrée. Feux de brousse, tranchées artisanales, sacs de charbon dissimulés sous des bâches poussiéreuses… Voilà ce qu’il reste, en 2025, de ce qui fut l’un des derniers refuges de biodiversité de la région. Comme un symbole. Le Mali, vaste pays sahélien dont 80 % de la population dépend encore du bois pour cuisiner, semble bien décidé à aller au bout de ses ressources naturelles, jusqu’à la dernière branche.

Des plants, des chiffres… et peu d’arbres

Officiellement, tout va mieux. On plante. On réforme. On surveille. En août dernier, lors de la 30e campagne nationale de reboisement — slogan dans le vent : « Plantons des arbres, restaurons nos terres » — le gouvernement malien annonçait fièrement avoir produit plus de 18 millions de plants, pour couvrir, à terme, quelque 8 000 hectares. Mais la réalité, elle, est plus coriace que les slogans : le pays perd chaque année près de 100 000 hectares de forêts, soit l’équivalent de cinq fois la superficie de Bamako. Le ministère de l’Environnement assure que certaines plantations affichent un taux de réussite de 95 %. Un chiffre qui fait sourire jusque dans les villages de la Faya, où l’on vous montre du doigt des plants morts de soif avant même d’avoir atteint un mètre.

Selon une étude de Global Forest Watch, en 2020, le Mali comptait 6,93 millions d’hectares de forêt naturelle, ce qui représentait 5,5 % de la superficie totale du pays. En 2023, le pays a perdu 28 100 hectares de forêt naturelle, ce qui équivaut à 7,64 millions de tonnes d’émissions de CO2.

Charbon de bois, orpaillage

Les causes de cette lente déforestation ne sont ni nouvelles ni mystérieuses. La pauvreté, d’abord. Le charbon de bois est le pétrole du pauvre — et à Bamako, son prix peut doubler en un temps record pour passer souvent de 5 000 à 9 000 francs CFA le sac, par endroit. Ensuite, l’or. Ou plus exactement, l’orpaillage semi-mécanisé, version moderne et incontrôlée du pillage organisé. Puis viennent le pâturage intensif, les feux de brousse mal maîtrisés, et le défrichement pour l’agriculture de subsistance. Il ne manque plus que la corruption et l’indifférence administrative pour que le cocktail soit complet. Et justement.

Un rapport récent du Bureau du Vérificateur Général s’est penché sur la Direction Générale des Eaux et Forêts : fonds mal gérés, marchés opaques, recommandations ignorées… La moitié des mesures correctrices proposées est restée lettre morte. Une administration qui, dans bien des cas, gère l’environnement comme on gère un dossier de routine. Et dans les zones où l’État ne s’aventure plus, la forêt devient l’affaire des plus forts — ou des plus armés.

La jeunesse s’éveille

Certes, des signaux positifs existent. L’initiative de la Grande Muraille Verte, qui vise à reverdir la bande sahélo-saharienne, a trouvé au Mali un terrain d’adhésion. À Bamako, on tient des conseils des ministres sur le sujet. On envoie des drones au-dessus de la réserve de la Boucle du Baoulé. On installe des logiciels de cartographie. Et pendant ce temps, au sol, les coupeurs de bois passent encore plus vite que les satellites.

Le président Assimi Goïta, conscient de l’enjeu, a tenté de réagir. En mars dernier, suite à des incidents dans les mines artisanales, il a suspendu des permis d’exploitation, saisi des dizaines de pelles hydrauliques et durci la législation sur les défrichements. Un geste fort, applaudi par les ONG. Mais sans chaîne de mise en œuvre fiable, la loi pourrait rester lettre morte, et les arbres contineront à tomber en silence.

Reste un espoir : la jeunesse. Lors de la 26e Quinzaine de l’Environnement, des élèves de Bamako ont lancé un cri d’alerte. Ils réclament que l’on enseigne, dès le primaire, la protection de la nature. Qu’on les forme à reconnaître un baobab menacé. Qu’on leur apprenne à aimer un sol vivant. Qu’on arrête enfin de dire que planter un arbre suffit à sauver un pays.

Reboiser ? Oui, mais pas seulement

Mais au Mali, l’environnement est encore vu comme un luxe — une affaire de technocrates en réunion, pas de survie collective. Pourtant, les chiffres sont sans appel : la dégradation des terres coûte chaque année plus de 20 % du PIB national. Un cancer lent, sans tumulte, qui ronge l’économie et épuise les populations.

Et alors que le pays tente de redéfinir ses alliances sécuritaires et de retrouver sa souveraineté, il lui faudrait peut-être se souvenir d’une évidence oubliée : sans arbres, il n’y a ni eau, ni paix, ni avenir. Et lorsqu’une forêt tombe dans un État fragile, c’est souvent tout l’État qui vacille avec elle.

Chiencoro Diarra 


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