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Mali: la géopolitique cachée derrière la pénurie d’essence

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Au Mali, la pénurie d’essence dépasse le simple manque de carburant. Elle révèle une guerre silencieuse où les flux énergétiques deviennent armes de pression et leviers d’influence. Derrière les stations asséchées et les files d’attente à Bamako ainsi dans des capitales régionales se joue une bataille géopolitique mondiale entre puissances concurrentes, transition énergétique imposée et quête de souveraineté africaine.

Comme le souligne Jacques Attali, « certaines choses crèvent les yeux sans qu’on y attache de l’importance, sauf quand il est trop tard. Ainsi des pénuries. » Le monde traverse une crise systémique. Les pénuries, devenues un fait global, ne sont plus seulement la conséquence de catastrophes naturelles, mais aussi le produit de manœuvres géopolitiques visant à affaiblir des États jugés trop indépendants. Le Mali n’échappe pas à cette logique. 

L’arme invisible d’une guerre hybride

Derrière les files interminables devant les stations-service de Bamako et des capitales régionales, c’est une véritable bataille géopolitique qui se joue : celle des corridors, des influences et des marchés. La pénurie d’essence que subit le Mali depuis plusieurs semaines dépasse le simple dysfonctionnement logistique. Elle s’inscrit dans une guerre silencieuse où l’énergie devient une arme de déstabilisation.

Depuis la rupture politique avec Paris et la réorientation stratégique vers Moscou et Pékin, le Mali n’importe plus seulement du pétrole, mais sa souveraineté énergétique. Et cette quête dérange. Les attaques contre les convois, les blocages aux frontières ou les surcoûts imposés sur les transits ne relèvent pas du hasard. Ils traduisent une volonté de nuire à la stabilité d’un État en pleine redéfinition de son indépendance. Les terroristes, dans ce scénario, ne sont que les pions visibles d’intérêts étrangers.

Les circuits brisés du commerce pétrolier

Avant la refondation de sa diplomatie, le Mali dépendait presque exclusivement des terminaux de Dakar, Abidjan et Lomé, sous influence française. Depuis la création de la Confédération des États du Sahel (AES) en juillet 2024, Bamako réoriente ses corridors vers la Guinée, la Mauritanie, l’Algérie, et bientôt la Russie, qualifiée de partenaire « sincère et fiable ».

Ce basculement dérange. Il remet en cause un circuit économique juteux fondé sur le transit, les marges d’assurance, le raffinage et le stockage. Les résistances qui s’expriment aujourd’hui, visibles ou non, ne sont que les symptômes d’une bataille d’influence économique et politique. Le terrorisme devient dès lors une technologie de domination, un outil géopolitique au service de la reconquête des anciennes zones d’influence coloniale.

Quand le carburant devient levier d’influence

Les pénuries sont rarement neutres. Elles redéfinissent les dépendances. Plusieurs puissances cherchent déjà à imposer leurs « solutions » — carburants alternatifs, gaz liquéfié, biocarburants ou véhicules électriques subventionnés par des programmes dits « verts ». Sous couvert de transition énergétique se cache une guerre pour les futurs marchés africains de l’énergie.

Pendant que les sociétés occidentales tentent d’écouler leurs nouveaux produits, la Russie et la Chine proposent des alternatives : raffineries modulaires, contrats de troc, livraisons directes. Les États-Unis, devenus premiers exportateurs mondiaux de gaz naturel liquéfié (GNL), profitent de la guerre en Ukraine pour imposer leurs livraisons à des tarifs 20 à 45 % supérieurs à ceux du gaz russe. L’Union européenne, elle, érige ses biocarburants en modèle vertueux, tout en reconnaissant que ces substituts pourraient générer 70 millions de tonnes de CO₂ supplémentaires d’ici 2030. Pendant ce temps, la Chine contrôle 77 % de la production mondiale de batteries lithium-ion et 85 % des terres rares, lui conférant une hégémonie industrielle que l’Occident peine à contrer.

Le Mali, laboratoire de la souveraineté énergétique africaine

Le Mali devient ainsi un terrain d’expérimentation pour la souveraineté énergétique du Sud. Car au-delà de ses frontières, c’est toute l’Afrique qui se trouve prise dans une contradiction. On lui demande de se « décarboner » avant même d’avoir achevé son industrialisation. Alors qu’elle ne représente que 3 à 5 % des émissions mondiales de CO₂, elle subit la pression pour abandonner ses ressources fossiles, pourtant vitales à son développement.

Les États sahéliens, forts d’un potentiel solaire estimé à 13,9 milliards de kWh/an, plaident pour une transition équilibrée, où le gaz jouerait le rôle d’énergie de transition. Loin de l’utopie d’un marché « vert » global se dessine un ordre énergétique multipolaire, fragmenté, concurrentiel, et traversé de nouvelles lignes de fracture entre technologie, souveraineté et justice climatique.

Pénurie ou mutation imposée ?

Derrière le discours vertueux de la transition énergétique se cache un paradoxe cruel : le Sud risque de subir une transition par la pénurie. Les financements internationaux pour les hydrocarbures se tarissent, alors que les infrastructures solaires ou gazières locales tardent à émerger. Le Mali, comme d’autres États africains, pourrait être contraint d’évoluer non par choix, mais par manque.

Pour éviter ce piège, Bamako doit diversifier ses alliances, constituer des réserves crédibles et sécuriser ses corridors d’approvisionnement. L’objectif est ne plus subir, mais d’inventer une souveraineté énergétique malienne. Cela suppose également d’investir dans des transports publics d’État, des véhicules électriques alimentés par des parcs solaires nationaux, et un contrôle renforcé du secteur pétrolier.

Dans cette guerre feutrée du baril, chaque litre d’essence devient un acte de souveraineté. Le Mali marche sur une ligne de crête entre résistance et adaptation, entre héritage postcolonial et autonomie nouvelle. Mais une chose est certaine : cette crise, loin d’être une fatalité, pourrait devenir le catalyseur d’une indépendance énergétique africaine durable.

Chiencoro Diarra 


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