Au lendemain de l’abrogation de la charte des partis politiques au Mali, les autorités de la transition tracent leur propre voie. Entre ambition de refondation et tentation de verrouillage, le pays pourrait bien s’acheminer vers une dissolution totale du paysage partisan, à l’image de ses voisins du Sahel.
C’est un texte de moins, mais peut-être une ère de plus. En abrogeant, le 30 avril 2025, la charte des partis politiques datant de 2005, les autorités maliennes ont signé bien plus qu’un simple acte administratif. Elles ont amorcé une reconfiguration silencieuse, mais radicale du paysage politique. Car derrière ce geste technique, se dessine un scénario que d’aucuns qualifient déjà de « Burkinabè », voire de « Nigérien ». Celui d’une dissolution pure et simple de tous les partis politiques, suivie d’un nettoyage méthodique des appareils traditionnels.
« Le gouvernement agit de façon méthodique », confie à demi-mot une source haut placée au ministère de l’Administration territoriale. Et de préciser : « La charte est la racine. L’abroger, c’est arracher l’ancien système à sa base. » Une déclaration qui n’a rien d’anodin. Car au Mali, comme dans nombre de pays d’Afrique francophones, les partis politiques se sont multipliés à un rythme industriel — près de 300 officiellement recensés — sans toujours refléter une réelle implantation populaire. Des formations souvent créées pour négocier des alliances électorales, obtenir des financements publics ou accéder à des postes ministériels.
Un copier-coller assumé de l’AES ?
La suite logique serait-elle la dissolution, comme le recommandent d’ailleurs les forces vives de la nation, réunies lors des consultations nationales du 29 avril ? Rien n’est officiel. Mais les précédents burkinabè et nigérien — où les transitions ont balayé les partis pour rebâtir un cadre institutionnel — tracent un chemin. Un chemin que le Mali pourrait bien suivre, non par mimétisme, mais par cohérence stratégique, dans la dynamique commune de l’Alliance des États du Sahel (AES).
La méthode a ceci de redoutable qu’elle se veut rationnelle. On arrête la prolifération d’entités sans ancrage ; on réécrit une charte plus exigeante ; on trie le grain de l’ivraie avant de rouvrir les vannes — cette fois, avec un filtre. D’aucuns y voient une opération salutaire de décrassage. D’autres, plus sceptiques, parlent d’un recentrage autoritaire, déguisé en réforme institutionnelle.
Car, à y regarder de près, cette abrogation intervient dans un contexte de fermeture progressive de l’espace politique, où l’opposition traditionnelle peine à exister, où les voix critiques sont mises sous tension, et où les discours dominants valorisent la stabilité au détriment du pluralisme.
Entre rupture et verrouillage
Faut-il y voir une volonté sincère de refondation démocratique ou une tactique de verrouillage ? Les deux lectures coexistent. L’abrogation de la charte est sans doute un prélude. À une dissolution, ou à un durcissement drastique des conditions d’existence des partis — exigeant désormais fonds, base militante réelle, ancrage territorial. En somme, la fin du parti de salon et du chef sans troupes.
À Bamako, l’on murmure déjà que le gouvernement temporise pour ménager les partenaires extérieurs, mais que le cap est fixé. Il s’agit d’achever les réformes engagées depuis 2021, dans le cadre d’une refondation souveraine du Mali et de ses institutions.
Qu’on l’approuve ou non, la démarche suit une logique. Et cette logique n’est pas celle du consensus. Elle est celle du « choc fondateur », cher aux régimes en transition. Détruire, pour mieux reconstruire. Élaguer, pour mieux faire repousser.
La démocratie malienne version 2025 pourrait bien ressembler à un arbre taillé à la serpe. À voir si les fruits qui en sortiront nourriront la nation… ou la priveront d’oxygène.
Chiencoro Diarra
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